Nicolas Capt
Les drôles de tribulations (en France) du secret professionnel de l’avocat

Nicolas Capt, avocat en droit des médias à l’humour piquant, décortique deux fois par mois un post juridique pour nous. Dans sa onzième chronique, il commente le nouveau projet de loi français concernant l'atténuation du caractère absolu du secret professionnel.
Publié: 26.10.2021 à 18:33 heures
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Dernière mise à jour: 26.10.2021 à 18:44 heures

En France, le Ministre de la justice, incarné par l’ancien ténor du barreau, acquittator de son surnom et EDM de son acronyme, a récemment présenté un projet de loi dit « pour la confiance dans l’institution judiciaire ».

Il faut naturellement, et par principe, se méfier des appellations rassurantes, qui sont, dans le domaine de l’action publique, l’équivalent des « fait main » et autres « produits du terroir » dans celui de la grande distribution. Mais enfin, pour rendre grâce à la vérité, ce n’est pas tant le projet initial du Ministre qui sent le moufflon mais bien plutôt sa version revue et corrigée en commission mixte paritaire (7 députés, 7 sénateurs), sous le lobbying, que la presse voit comme intense, de Bercy (lire ici le Ministère de l’Economie et des Finances) et du Parquet national financier (PNF pour les intimes).

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Mais alors, quel est donc l’objectif de ce texte ? En deux mots, il s’agit de tempérer le caractère absolu du secret professionnel. Jusqu’alors, du fait d’une loi du 31 décembre 1971, le secret des échanges entre un avocat et son client était inaliénable. Cela étant, l’idée n’a jamais été d’immuniser quiconque, ni l’avocat, ni le client ; si l’homme de loi commet lui-même une infraction, il n’est en rien protégé. Vous me direz que c’est bien normal et vous aurez raison. Il y a des exemples récents, en haut lieu.

Mais l’article du code français de procédure pénale en cours d’adoption par le parlement introduit du flou qui confine à la zizanie. Ainsi, l’on distinguera désormais le Conseil de la représentation en justice. Fichtre !

Et deux exceptions au secret se font jour : en premier lieu, si le texte est adopté, le secret professionnel pourra être levé lorsque des infractions de nature financière (fraude fiscale, financement du terrorisme, corruption, trafic d'influence ainsi que blanchiment de ces délits) sont soupçonnées.

Là où le bât blesse, c’est que, de manière extrêmement fréquente, le Conseil et la représentation en justice ne sont pas des activités parallèles mais subséquentes: lorsqu’un client vient voir un avocat pour avoir une écoute rassurante sur une possible infraction commise, il est dans l’ordre des choses que l’avocat soit amené à assurer, dans un second temps, la défense de ce même client devant des juridictions. Dans ce contexte, les documents échangés et la correspondance avec son avocat pourront être saisis sans opposition possible, dès lors que ces documents « établissent la preuve de leur utilisation » (note à moi-même: examiner comment un document peut établir la preuve de sa propre utilisation).

En second lieu, le secret pourra être levé, accrochez-vous, « lorsque l’avocat a fait l’objet de manœuvres ou actions aux fins de permettre, de façon non intentionnelle, la commission, ou la poursuite ou la dissimulation d’une infraction ». Vous ne comprenez pas ? C’est normal, les avocats non plus. Mais on sait qu’il vise la saisie de correspondance d’avocats qui ont servi le (funeste) dessin délictueux du client même lorsque les avocats les ont communiquées de manière non intentionnelle.

En d’autres termes, comme le relève Me Charles Ohlgusser dans un fil Twitter qui résume parfaitement l’affaire, jusqu’à présent, le secret professionnel tombait « si l’avocat était complice ».

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Or là, plus besoin de cela : tous les avocats manipulés par leur client, même lorsque ce dernier a simplement omis, consciemment ou non, de leur livrer un élément qui influe sur le conseil donné, seront considérés, si l’on veut bien, comme des « complices » passifs.

Nul doute que, si ce texte inique devait être voté, Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir sera bien vite supplanté dans l’imaginaire collectif par l’avocat complice sans le savoir.

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