Nicolas Capt
La curieuse recette de l’Apfelstrudel politico-médiatique à la viennoise

Nicolas Capt, avocat en droit des médias à l’humour piquant, décortique deux fois par mois un post juridique pour nous. Dans sa dixième chronique, il commente le scandale de corruption impliquant le jeune Chancelier Sebastian Kurz qui agite en ce moment l'Autriche.
Publié: 12.10.2021 à 19:13 heures
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Dernière mise à jour: 12.10.2021 à 22:09 heures
Nicolas Capt

Ach, c’est sans doute le scandale de la décennie! Sebastian Kurz, le jeune prodige devenu Chancelier d’Autriche au virage de la trentaine, a chu. La raison de la chute (libre)? Une enquête ouverte par le parquet financier fédéral pour des accusations de détournement de fonds, corruption et trafic d’influence, dans le sillage de laquelle de bien infamantes perquisitions ont été opérées, visant jusqu’au bureau personnel du Chancelier lui-même. En cause, de supposées manœuvres au terme desquelles le Chancelier aurait détourné des fonds publics aux fins de financer des sondages d'opinion partiellement manipulés qui servaient un intérêt politique exclusivement partisan en faveur de l'ÖVP (son parti) entre 2016 et 2018.

Voilà à tout le moins ce sur quoi enquêtent les fins limiers autrichiens, la présomption d’innocence étant naturellement de mise. Il semble que les policiers fédéraux aient été mis sur la chancelière piste du fait de messages WhatsApp récoltés dans le cadre d’une autre affaire, qui avait vu l’auteur des messages, un certain politicien du nom de Thomas Schmid fanfaronner auprès de son assistante qu’il avait dûment effacé tous ses messages WhatsApp. Visiblement sans trop de succès, dès lors que les enquêteurs semblent avoir récupéré quelque 300'000 échanges…

Sebastian Kurz au milieu de la tourmente.

En clair, Sebastian Kurz est accusé de s’être façonné, au moyen du paiement, par des fonds publics, de campagnes publicitaires (à hauteur, dit-on, de 1.1 million d’euros) et avec l’aide de quelques lestes comparses, une belle image publique dans le journal Österreich (droite).

De quoi, si l’affaire était avérée, donner un sérieux coup d’arrêt à la carrière exceptionnelle d’un jeune homme dont rien ne semblait pouvoir arrêter la fulgurante trajectoire politique (Ministre fédéral des affaires étrangères à 27 ans, Chancelier à 31 !).

Les enquêteurs soupçonnent Thomas Schmid (le Monsieur des messages pas vraiment effacés) de s’être entendu avec Wolfgang Fellner, le propriétaire et éditeur de Österreich, présenté comme « capitaliste » par le premier. Une sorte d’opération « dépenses contre compliments », en somme.

Et s’il n’y a personne, ou presque, pour venir au secours de notre Chancelier en déroute, lequel a sans doute fort intelligemment démissionné avant qu’on ne le fasse pour lui, prenant de cours ses poursuivants et évitant de la sorte un dégât d’image irréparable, la grande presse, européenne, pour des raisons que la raison ne connaît point, est curieusement demeurée fort silencieuse sur ce qui apparaîtrait pourtant, si l’affaire devait se confirmer, comme l’une des plus graves violations de la déontologie de la presse depuis des lustres.

Le Chancelier a démissionné le 11 octobre.

Est-ce à dire que les gens de presse, tout occupés à saluer (à raison) les journalistes récipiendaires du Prix Nobel de la paix, auraient voulu baisser les yeux sur les mauvais élèves ? La quasi absence d’articles véritablement critiques sur les pratiques (tout à fait scandaleuses si avérées) du média autrichien provoque, au mieux, la surprise. Le scandale ne se loge pas toujours à l’autre bout de monde, dans un paradis fiscal quelconque. Parfois, le loup est tout simplement dans la bergerie et rien ne sert alors de fermer les yeux. Certes, il faut rendre justice à certains médias se sont tout de même posés la question qui fâche mais, globalement, l’affaire est essentiellement envisagée par l’angle des faits et méfaits attribués à l’ex-Chancelier.

Comme en tout, les visions manichéennes jouent souvent des tours pendables.

Oui, le journalisme, en particulier d’investigation, est le pivot de nos démocraties et en constitue l’indéniable et nécessaire quatrième pouvoir.

Non, il n’est pas forcément et pour autant exempt de reproches. Loin s’en faut. L’affaire autrichienne dévoile les rouages bien peu reluisant d’une certaine presse.

Et la question de l’objectivité journalistique, un Graal qui recule à mesure que l’on s’approche de lui, un peu à la manière d’un arc-en-ciel, devrait être un sujet plus présent dans les médias. Le New York Times, que l’on sait prescripteur de tendances, vient d’ailleurs de publier un article fascinant à ce sujet. Bis bald!

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