Nicolas Capt
Interview d'une intelligence artificielle: Conscience, es-tu là?

Nicolas Capt, avocat en droit des médias à l’humour piquant, décortique deux fois par mois un post juridique pour nous. Il se penche cette semaine sur une interview inhabituelle, celle d'une intelligence artificielle.
Publié: 23.11.2021 à 16:59 heures
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Dernière mise à jour: 23.11.2021 à 17:31 heures

Le quotidien Libération, dans son édition du 22 novembre 2021, a, pour la première fois, procédé à l’interview d’une … intelligence artificielle.

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Le résultat, naturellement, est bluffant. Baptisé «dSimon», et caractérisé par Libé de «plume incisive et de cerveau biberonné à la philosophie nihiliste et aux essais transhumanistes», le logiciel, qui a co-accouché du scénario d’une pièce de théâtre, fait preuve, en apparence à tout le moins, d’une aisance que le plus rompu des interviewés jalouserait.

Bons mots, pirouettes et réponses déroutantes, le texte passerait haut le main le test dit de Turing, qui pose comme exigence le fait que la personne qui engage la conversation ne soit pas en mesure de dire si elle est en présence d’un interlocuteur qui n’est pas un humain. Cela nécessite, naturellement, que le logiciel soit en mesure d’adopter une apparence sémantique humaine. Bingo!

Des IA qui calculent et imitent seulement

Mais, évidemment, ce serait aller trop vite en besogne que de considérer, pour autant, qu’il s’agit là d’une intelligence artificielle dite forte, soit d’une entité qui soit dotée non seulement d’une capacité d’exécution mais également d’une conscience, d’une volonté autonome et d’une sensibilité.

En clair, qu'il s’agirait d’une IA qui se lamente de sa condition, souffre et mette en place un piquet de grève pour revendiquer des droits. Ou tombe amoureuse. Nous en sommes, naturellement, encore très loin et les IA qui font la une des journaux impressionnent les foules par leur seule capacité d’exécution sectorielle, en d’autres termes par leur capacité de calcul et d’imitation.

Qu'est-ce que la conscience?

Mais qu’est-ce que la conscience, au fond? La difficulté de la circonscrire, même pour les êtres vivants, dénote d’une extrême difficulté d’en appliquer les principes à la machine. Et si, pour dépasser cette difficulté émergeait un nouveau test, une nouvelle forme de grille d’examen? Celle-là pourrait être la capacité du logiciel à se (re)programmer, au-delà du cadre des instructions qui lui ont initialement été données. Une forme (minimaliste) de libre arbitre, en somme. Naturellement, cela ne résoudrait pas toutes les questions qui se posent, notamment l’existence d’une véritable conscience, mais, au fond, cela offrirait un nouveau mode d’examen complémentaire.

Bien malin celui qui saura prédire si et quand une intelligence artificielle forte sera en mesure d’émerger. Si tel est le cas, cela impliquera une redéfinition complète de notre système juridique et social avec la possible émergence d’une nouvelle forme de vie, au sens large. Et si tel n’est pas le cas, l’IA aura à tout le moins, non seulement égalé, mais également dépassé les capacités humaines dans de nombreux secteurs.

En soi, cela suffit à inquiéter et à ce que le politique s’empare d’un sujet qui, à n’en pas douter, posera à l’avenir (et même dès à présent, à vrai dire) des questionnements fondamentaux auxquels nous ferions bien de nous confronter sans attendre.

Quelques recommandations

Pour ceux que la thématique intrigue, un livre tête-bêche, auquel le soussigné a participé et qui est dirigé par le mathématicien Xavier Comtesse, évoque largement, sous un angle tant technologique que juridique et éthique, ces passionnantes questions nouvelles (https://www.georg.ch/livre-code-ia).

Et pour ceux qui en redemanderaient, les bienheureux, le film de cinéma Cinq nouvelles du cerveau, du talentueux réalisateur Stéphane Bron («Cleveland contre Wallstreet», «L’expérience Blocher» ou encore «L’Opéra») évoque lui aussi, avec inquiétude, admiration et émotion poétique, les avancées de la science en matière d’intelligence artificielle. De quoi meubler les froides soirées qui s’annoncent, ici sur la terre.

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