La chronique d'Irène Kälin
«Pour une démocratie de conciliation»

Voilà deux semaines qu’Irène Kälin a pris la présidence du Conseil national. Une fonction qui rend la 200e occupante du «Bock» à la fois humble et fière, même si le réveil de la Verte argovienne sonne désormais bien trop tôt.
Publié: 15.12.2021 à 14:51 heures
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Dernière mise à jour: 15.12.2021 à 18:08 heures

Bonjour, c’est Irène, d’Oberflachs en Argovie. Vous me connaissez ainsi, c’est d’ailleurs comme cela que je me suis présentée au moment d’introduire ma chronique pour Blick en Suisse romande. Désormais, je devrais peut-être dire «Irène du Palais fédéral» ou «Irène Kälin, Bundesplatz 3, 3003 Bern», tant je passe mes journées sous la Coupole avant même que le soleil ne se lève — j’y reviendrai plus loin. Depuis fin novembre, je suis la «höchste Schweizerin», comme on dit de mon côté de la Sarine. Je préfère largement votre version: la «première citoyenne du pays». Non seulement elle convient mieux, mais elle est aussi plus exacte.

Ce poste est un symbole de notre démocratie. Une expression de notre diversité et de notre unité. La première citoyenne du pays incarne le respect à l’égard du souverain, c’est-à-dire chacune et chacun d’entre vous. En ce sens, c’est un grand honneur d'assumer la tâche de vous représenter.

On a coutume de dire que la première citoyenne ne représente pas un parti mais l’ensemble des ses concitoyennes et concitoyens. J’ose même ajouter qu’elle représente toutes celles et ceux qui habitent notre pays, quelle que soit leur nationalité ou leur(s) passeport(s). J’ai une pensée particulière pour ceux qui n’ont aucun droit civique alors qu’ils ont trouvé en la Suisse une patrie d’adoption et sont parfois nés ici.

Irène Kälin (Verts), nouvelle présidente du Conseil national.
Photo: Keystone

Aussi humble que fière

Puisque l’on est dans les symboles, je suis la 200e présidente du Conseil national, la deuxième représentante des Verts et la 15e femme à m’asseoir sur le Bock. Je crois que vous appelez ça perchoir en Suisse romande, là je ne sais pas si le terme est vraiment plus élégant. Qu’importe: c’est un fauteuil qui est bien trop grand pour moi. Il représente un mandat qui est bien plus grand que ma personne. C’est un honneur, que dis-je, une responsabilité. Cela me rend aussi humble que fière. Et je mentirais si je disais que cela ne fait pas du bien, d’être présidente. Je suis volontiers la présidente du National, et je vais faire tout mon possible pour remplir cette fonction du mieux que je peux.

Même le matin. Oui, comme dans toutes les fonctions, aussi prestigieuses soient-elles, il y a le revers de la médaille. Je ne fais pas partie de la catégorie de personnes qui pensent que l’avenir appartient à ceux qui se lèvent (très) tôt. Pour la petite histoire, on dit en allemand: «Morgenstund hat Gold im Mund», soit «l’heure du matin a de l’or en bouche». Je vous l’accorde, la traduction est un peu étrange. Quoi qu’il en soit, le matin est vraiment le moment où j’aime le moins être présidente. Lorsque mon réveil sonne avant 6h, c’est bien trop tôt pour moi. Qui veut être présidente alors que le soleil ne s’est pas encore levé? Pas moi, en tout cas.

Cela fait partie du régime de «conciliation» qui marque l’année de présidence. Je dois faire des sacrifices, et mes heures de sommeil en sont un. Reste que durant ce difficile apprentissage pour concilier mon rythme biologique et mes tâches de première citoyenne du pays, ces jours, je me pose sans cesse une question tôt le matin: comment faisaient mes prédécesseurs? Est-ce que l’on a vraiment besoin de moins de sommeil avec l’âge? (Oui, beaucoup de mes prédécesseurs étaient plus âgés). Ou est ce que l’on s’y habitue, quitte à prendre presque toute l’année pour s’adapter? Existe-t-il une astuce dont on ne m’a pas mise au courant? Je ne sais pas, et si c’est le cas, je suis tout ouïe. Je vais devoir faire avec.

Pour une démocratie de conciliation

Dès que l’horloge arrive dans des phases décentes de la journée, cela devient une joie et un grand bonheur. Malgré les temps compliqués que notre pays traverse en même temps que l’ensemble de la planète ou presque. Précisément en cette période marquée par le Covid, je suis persuadée que le mot-clé est conciliation. Concilier les tâches présidentielles avec le sommeil est une chose, mais il y a de bien plus grands défis encore: celle du travail, de la famille et de l’action politique, par exemple. Et, notion ô combien fondamentale durant cette ère troublée, la conciliation des différentes opinions.

Nous avons une culture politique qui intègre autant que possible toutes les opinions. C’est même notre marque de fabrique: nous sommes un pays qui protège les minorités. Une Nation, avec un grand N, qui intègre tout le monde et qui en veut. Une démocratie de conciliation, en somme. Hélas, ces derniers temps, nous n’arrivons pas autant que nous le devrions à faire se rencontrer des avis et des positions divergentes. La conciliation, cela voudrait dire qu’avec mes collègues au Parlement, nous parviendrions à esquisser des solutions et des compromis pour faire face aux problèmes urgents de notre temps. Des perspectives qui trouveraient des majorités devant le peuple.

N’importe où sur l’échiquier politique, les gens veulent le meilleur pour notre pays. C’est un dénominateur commun: nous devons construire là-dessus, trouver des compromis qui dessinent un futur à notre pays. Il y a un besoin immense et urgent de solutions, tant pour la question climatique que pour l’impasse avec l’Union européenne. Il faut des perspectives qui tiennent la route, qui offrent à nos enfants des conditions décentes. Nous le leur devons.

Retrouver de la solidarité, vite!

Et cela sans même évoquer la crise du Covid, qui nous poursuit depuis deux ans et qui est de nouveau très actuelle — malheureusement. Elle aussi aurait besoin de solutions qui trouvent une majorité, qui soudent les citoyennes et citoyens de ce pays comme au début de la pandémie. Des solutions qui, nous devons l’accepter, ne sont peut-être plus valables le lendemain et qu’il faut déjà adapter, parce que le temps de la science n’est pas celui de la politique et que le virus est plus rapide que nos politiciens. Des solutions qui, surtout, gardent notre pays uni, fidèlement à sa devise. C’est ce que je souhaite pour mon année de présidence mais dès ces prochains jours, pour ceux qui restent en 2021. Pas seulement au Parlement, mais partout en Suisse et ailleurs.

Nous devons retrouver de la solidarité, comme le stipule merveilleusement notre Constitution fédérale dans son préambule: «Déterminés à vivre ensemble leurs diversités dans le respect de l'autre et l’équité.»

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