La chronique de Nicolas Capt
Nahel a bon dos

Me Nicolas Capt, avocat en droit des médias, décortique deux fois par mois un sujet d’actualité ou un post juridique pour Blick. Cette semaine, il revient sur les émeutes en France.
Publié: 05.07.2023 à 13:42 heures
|
Dernière mise à jour: 13.07.2023 à 08:27 heures
Nicolas Capt

A l’évidence, la crise émeutière qui traverse la France et fait descendre sur le pavé des cohortes de mineurs avides de grands frissons dépasse la culture classique de la barricade qui y a cours depuis toujours. Bien sûr, il y a la mort de Nahel, ce prénom devenu l’étendard, le prétexte dirons certains, de la révolte.

Pour les uns, Nahel est victime d’une bavure, terme au demeurant remplacé dans le monde des modernes par les violences policières, terminologie faisant référence à un phénomène vu comme davantage systémique. Alors que les bavures sont les faits d’armes occasionnels des ripoux ou des imprudents, les violences policières apparaissent endémiques. Les plus hardis y voient l’expression même d’un système répressif excessif («All Cops Are Bastards» et son fameux acronyme «ACAB»).

«
«Dans ce magma de mots et d’opinion, les versions se télescopent, les analyses se contredisent et les invectives fusent»
»

Pour les autres, la police a tiré à bon escient sur ce jeune présenté comme récidiviste et qui aurait refusé d’obtempérer. De la mauvaise graine de cité qui paye le prix de son irrespect de l’ordre. Delta Charlie Delta, le conducteur de la berline de sport jaune, et que l’on n’en parle plus.

Notre chroniqueur Nicolas Capt revient sur les émeutes qui ont embrasé la France depuis la mort du jeune Nahel, tué par un policier.
Photo: DUKAS

Dans ce magma de mots et d’opinion, les versions se télescopent, les analyses se contredisent et les invectives fusent. Mais la vérité se fait attendre. Seules certitudes: le tir, la mort et la voiture jaune au capot fumant. Et la tristesse d’une mère, que d’aucuns raillent, étonnés sans doute de cette femme à l’allure triomphante, presque prophétique, les deux bras ouverts levés au ciel, lors de la marche blanche en souvenir de son fils. De tout cela, il est bien difficile de juger: les sentiments souvent ne prennent pas la forme attendue; l’on rit fort à des enterrements et l’on sanglote doucement à des mariages, à moins que ce ne soit l’inverse.

Au-delà du drame, du fait divers - car c’est de cela dont il s’agit et qui n’enlève rien au tragique - la nation tout entière se meut pour Nahel: entre les adolescents grisés par l’interdit, les opportunistes de la basket et les voleurs d’habitude, la nation est à feu et à sang: les magasins sont pillés, les voitures brulées et les policiers attaqués. Nahel a bon dos.

Et que dire des récupérations politiques de tout bord: de la droite qui en appelle, un peu mécaniquement, à serrer la vis, à la gauche qui entend censurer les levées de fond au bénéfice de la famille du policier auteur du tir, la France perd la tête et le nord. Et alors que certains attendaient des mots de sagesse du président, le voilà qui vient avec une idée pour le moins curieuse: et si on limitait ou coupait l’accès aux réseaux sociaux en cas de grands troubles? La dernière fois qu’une telle mesure a été prise, c’était le 4 juin dernier au Sénégal. Le gouvernement avait alors pris la décision de suspendre «temporairement» l’accès à l'Internet mobile.

«
«La France perd la tête et le nord»
»

Selon le Ministère de la Communication, des Télécommunications et de l’Economie numérique, cette restriction d’accès s’est faite «dans certaines plages horaires» et la décision était justifiée par «la diffusion de messages haineux et subversifs dans un contexte de trouble à l’ordre de public dans certaines localités du territoire national». De nombreuses voix, dont celle de RSF, se sont toutefois insurgées contre ce qui était vu par elles comme de la censure et une restriction du droit à l’information.

Bien sûr, le Président Macron n’a pas mis en œuvre pour l’heure une telle coupure, pas davantage qu’il n’a suggéré de le faire prochainement. Il a simplement invité à un débat, «à froid», sur la question. Mais l’idée même d’un débat de cet ordre fait frémir: d’une part, parce qu’elle est l’admission d’une terrible impuissance du pouvoir de résoudre la crise actuelle dans toutes ses dimensions sociétales et juridiques et, d’autre part, parce qu’elle apparait comme un instrument incroyablement liberticide. Aux larmes, citoyens!

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la