La chronique de Nicolas Capt
Les NFT s’ensablent dans la Dune

Me Nicolas Capt, avocat en droit des médias, décortique deux fois par mois un post juridique pour les lecteurs de Blick. Cette semaine, il revient sur les NFT et le plan pseudo-ingénieux de plusieurs compères ayant acheté une œuvre rare pour la transformer en jetons.
Publié: 21.01.2022 à 20:24 heures
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Dernière mise à jour: 21.01.2022 à 20:32 heures

Une fois encore, certains aficionados de NFT semblent tout simplement perdre le nord. La dernière histoire en date qui secoue le landerneau des cryptos est à la vérité tout simplement édifiante.

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Mais revenons sans attendre à l’origine de cette déroute. En date du 22 novembre dernier, la succursale parisienne de la maison de vente Christie’s met en vente sous le marteau un rare ouvrage portant sur l’adaptation cinématographique, avortée mais mythique, de l’exceptionnelle nouvelle de science-fiction Dune par le cinéaste Alejandro Jodorowsky.

Un projet dont les ambitions pharaoniques, jamais atteintes, contenaient, elles aussi, leur part de rêve: 14 heures de pellicule, Pink Floyd chargé de la mise en son, Salvatore Sali comme acteur demandant d’être rémunéré 100’000 dollars de l’heure. Un projet mythique, puisque avorté.

Nicolas Capt, avocat en droit des médias, se penche ici sur la question du plagiat.
Photo: Blick_Suisse romande

L’estimation de ce joli lot par la maison de vente est d’une trentaine de milliers d’euros, en phase avec les montants précédents atteints pour quelques exemplaires similaires.

L'ouvrage en question.
Photo: AFP

Un plan qui semble ingénieux

En vente, les compteurs pourtant s’affolent: l’ouvrage sera finalement acquis pour plus de 100 fois l’estimation, soit près de trois millions d’euros, frais inclus. Mais qui est donc le mystérieux acquéreur? Un musée? Un collectionneur? Un oligarque en quête de sensation forte? Rien de tout cela mais un groupe anonyme répondant au nom de Spice DAO (DAO devant être compris comme l’acronyme anglais d’organisation décentralisée autonome). Jusque-là, on ne peut que saluer le panache de cette organisation d’un nouveau genre.

Spice DAO envisageait, très concrètement, de segmenter le contenu en NFT (les fameux non fongible token, soit des jetons figurant l’unicité numérique d’un contenu dématérialisé), puis de brûler l’exemplaire de base, en un autodafé 2.0, le feu de joie étant lui-même filmé pour devenir un NFT. Une troublante poésie noire de la numérisation, vue comme chemin nouveau vers l’éternité du texte.

Le contenant et le contenu

Le plan de Spice DAO ne s’arrêtait toutefois pas aux NFT et comprenait également la mise à disposition du plus grand nombre une version numérique du livre ainsi que l’utilisation du livre comme matériau de base pour le développement d’une série originale et pour des produits dérivés.

Le hic? Les membres de Spice DAO pensaient que l’achat de l’exemplaire physique leur conférait le droit d’exploiter le livre.

Cette conception des droits d’auteur est malheureusement tout à fait erronée, la simple possession d’un exemplaire, même cas échéant unique, d’une œuvre ne donnant évidemment pas droit à de quelconques droits sur son contenu, à tout le moins durant la protection du droit d’auteur.

En Suisse par exemple, la protection est ainsi de 70 ans après le décès de l’auteur et, dans le cas d’une œuvre connaissant plusieurs auteurs, la protection se termine 70 ans après le décès du dernier co-auteur. Ainsi, l’ouvrage acquis chez Christie’s ne verra, au mieux et en prenant comme hypothèse qu’aucun autre auteur n’est à prendre en compte, les droits d’auteur sur son contenu tomber dans le domaine public qu’en… 2056.

Un ouvrage juste acheté cent fois trop cher

S’y ajoute le fait qu’il semble, en sus, exister plusieurs exemplaires du bouquin en question et que la teneur de l’ouvrage est d’ores et déjà accessible, sans bourse délier, sur Internet.

Si le collectif devait mettre son plan à exécution, soit notamment de proposer des NFT sur la base de l’ouvrage acquis, nul doute que l’on passerait sans transition du marteau du commissaire-priseur à celui du juge, ce dernier sans doute saisi par les ayants droit de Frank Herber, décédé en 1986.

Alors que reste-t-il de ce projet pharaonique? Un joli livre à exposer dans une vitrine, acheté cent fois trois cher. Oh et aussi une mise en abîme troublante: le livre d’un projet cinématographique avorté acquis par un collectif dont le projet fait long feu, ensablé. Et vous, sinon, votre semaine?

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