La chronique de Nicolas Capt
La liberté d’expression serait-elle tombée dans le ruisseau?

Me Nicolas Capt, avocat en droit des médias, décortique deux fois par mois un sujet d’actualité ou un post juridique pour Blick. Cette semaine, il analyse les réactions à un compte Twitter parodique d'une politicienne française.
Publié: 06.09.2022 à 12:29 heures
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Dernière mise à jour: 06.09.2022 à 12:38 heures

Il est des comptes parodiques qui se font davantage remarquer que d’autres. Il en est ainsi de celui, sur Twitter, de «Sardine Ruisseau» (@sandruisseau), double irrévérencieux de la présence en ligne officielle de Sandrine Rousseau, députée EELV française (@sandrousseau).

Avant d’en venir aux tribulations du compte parodique, commençons par planter le décor: ce n’est pas tous les jours qu’un compte parodique de politicien (et clairement identifié comme tel) a plus d’abonnés que le compte officiel correspondant. C’est même sans doute une première, sinon mondiale, à tout le moins française.

Que diable trouve-t-on sur ce compte parodique pour entraîner un tel succès? Une ode à l’absurde, un jusqu’au-boutisme de la pensée unique, une sorte de Plonk & Replonk politique, toutefois dépourvu de haine et d’injures.

Le compte parodique @sandruisseau défraie la chronique.
Photo: Twitter
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Les mauvaises langues soutiennent d’ailleurs que la création de ce compte parodique ne doit rien au hasard. Ils rappellent que la députée Sandrine Rousseau est une habituée des bourdes et autres déclarations choc: de l’hommage rendu à «Jean-Pierre» Belmondo à ses tirades définitives sur le machisme du barbecue en passant par des prises de position féroces sur la déconstruction du mâle ou sa position étonnante sur les terroristes afghans («S’il y a vraiment des terroristes, le fait qu’ils restent en Afghanistan ne les rend pas moins dangereux. Les avoir en France nous permettrait de les surveiller»).

Suspension provisoire

De l’autre côté de la barre, on se scandalise de ce qui est vu comme un harcèlement ciblé, parfois attribué à la droite extrême, un trolling inadmissible. Certains médias ont d’ailleurs pris fait et cause pour la députée, allant même jusqu’à suggérer que ce compte aurait dû être censuré. Ce qu’il a d’ailleurs été brièvement cet été, en raison de la publication du tweet suivant, «À chaque taliban que nous accueillons en France, c’est une femme lapidée en moins en Afghanistan. Afin de protéger les femmes afghanes, nous devons accueillir les talibans en France», avant que la suspension ne soit levée après analyse.

D’ailleurs, comme le révèle une interview de «Sardine Rousseau» dans Causeur, cette suspension a suivi une période de désactivation volontaire, des internautes cherchant visiblement à obtenir les données personnelles de l’animateur du compte parodique pour les divulguer à des fins malveillantes (doxing).

Mais, au fond, que trouve-t-on comme publications sur ce compte? Rien, à la vérité, qui ne semble dépasser la satire politique, spécialement dans un pays qui se veut le chantre de la liberté d’expression. De tout temps et dans tous territoires, le personnel politique est supposé avoir, comme le dit le Tribunal fédéral, le cuir épais.

Uniformiser l’humour?

Si le cyberharcèlement, les injures, les menaces et autres infractions constituent les évidentes limites de la parole publique, la critique politique, même virulente, même moqueuse, doit être admise.

Ainsi, la réaction de Sandrine Rousseau, la vraie de vraie, interrogée sur Quotidien, ne manque pas de surprendre. Florilège:

  • Yann Barthès (YB): «Vous avez un troll qui cartonne sur Twitter. Le compte s’appelle Sardine Ruisseau. Si je vous dis que ça me fait rigoler, est-ce que vous me répondez que je soutiens le harcèlement en ligne?»
  • Sandrine Ruisseau (SR): «Oui!»
  • YB: «Vraiment?»
  • SR: «En tous les cas, si vous likez ou retweetez, je vous dis ça, oui.»
  • […]
  • YB: «On rit chacun à sa façon…»
  • SR: «Ben ça fait partie des transformations que nous devons faire…»

Voilà donc une députée hexagonale nous déclarant sans ciller qu’il va falloir que l’humour s’uniformise. Et vlan pour le pékin moyen qui croyait, idiotement – le pauvre hère –, que la beauté se logeait dans la diversité des points de vue et des émotions et qui croyait naïvement que seul le droit institué constituait les limites à la libre parole. Que nenni, il faut remettre le rire à l’ordre, rire selon les préceptes.

Peut-être pourrait-on lui conseiller, comme lecture de rentrée, l’Arrêt Jersild c. Danemark de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, qui rappelle que la liberté d’expression vaut aussi pour les idées qui heurtent, choquent ou dérangent. A bon entendeur, Sandrine!

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