Commentaire de Daniella Gorbunova
La guerre en Ukraine, c'est aussi (un peu) de la faute du patriarcat

En ce 8 mars, notre journaliste pense que la guerre en Ukraine et le patriarcat, c'est un peu le même combat. Voici pourquoi.
Publié: 08.03.2023 à 18:31 heures
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Dernière mise à jour: 08.03.2023 à 22:08 heures
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

Vous avez bien lu le titre. Je pense, très sérieusement, que la guerre en Ukraine n'existerait probablement pas si le patriarcat n'existait pas. Au même titre que la Corée du Nord ou les projets délirants de SpaceX. Vous arrivez à imaginer Elon Musk en femme? Moi non plus. Car la plupart des femmes ont autre chose à faire que fantasmer sur le fait de polluer l'espace avec des objets phalliques qui crachent du feu.

L'histoire moderne n'a connu que des dictateurs, jamais de dictatrices — mot que mon correcteur automatique, en passant, ne reconnaît même pas. Et ça n'a rien à voir avec de prétendues raisons biologiques, qui feraient que «les femmes donnent la vie et pas la mort». Non. Je vomis ce genre d'arguments réactionnaires pseudo biologisants.

Nous naissons toutes et tous avec les mêmes connexions neuronales. Avec le même cerveau. On ne naît pas dictateur ou femme au foyer, on le devient via une éducation genrée que nous avons toutes et tous reçue, à des degrés différents certes (et fort heureusement). Le nerf de la guerre, ce sont nos constructions sociales différentes.

Dans l'assemblée, pendant le discours de Vladimir Poutine du 23 février 2023, il n'y a quasiment que des hommes. Symptôme d'un problème systémique.
Photo: Capture d'écran

Guerre ou paix

D'un côté, les jeunes garçons éduqués de façon traditionnelle, en «jouant à la guerre», apprennent à imposer leur idéal de justice et de vérité (ou plutôt celui que leur a transmis leur père) aux autres à coup de bâton. De l'autre, les petites filles apprennent plutôt à faire preuve de compassion, et à prêter attention aux besoins des autres.

Ce constat a poussé les féministes des années 1980, surtout la philosophe américaine Carol Gilligan, à se demander si, pour atteindre l'égalité, il fallait vraiment commencer à éduquer les filles comme des garçons. Est-ce qu'on ne devrait pas plutôt «mélanger» les deux types d'éducations, pour tenter de créer un monde plus juste (grossièrement dit)?

Et si l'on arrêtait de considérer les qualités dites plutôt «féminines» (l'empathie, la recherche du compromis, l'écoute, etc.) comme secondaires et moins importantes que les qualités dites «masculines» (la force, le courage, la détermination, etc.)? Et si on les valorisait davantage dans nos sociétés de par le monde? Ne vivrait-on pas sur une planète un peu moins belliqueuse, un peu moins violente, un peu moins injuste? Carol Gilligan pense que oui. Et ça s'appelle l'éthique de la sollicitude, ou du care, en anglais. À laquelle les femmes ont bien plus été habituées que les hommes.

Et Thatcher, alors?

En guise de contre-exemple, nous connaissons toutes et tous des noms de femmes guerrières ou autoritaires dans l'histoire. De Catherine II de Russie (qui a tué son mari pour accéder au trône) à Margaret Thatcher, plus connue pour être l'une des chevilles ouvrières du néolibéralisme sauvage que pour son souci de la veuve et de l'orphelin. En passant par Jeanne d'Arc. Sauf qu'elles sont plutôt rares, ces femmes sanguinaires, en comparaison à la liste colossale d'empereurs et de dictateurs que cette planète a connus.

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Dont celui qui est désormais assis sur ses tanks aux portes de l'Occident, Vladimir Poutine. J'ai décidé d'écrire ce texte après avoir regardé son discours annuel du 23 février dernier. Parmi toutes les choses qui m'ont choquée, je n'évoquerai pas ses mots — d'autres l'ont assez fait. Mais plutôt le parterre.

Regardez le nombre de femmes présentes dans l'assemblée. Soustrayez les visages (familiers pour les connaisseurs) des filles et des épouses des politiciens et des hauts fonctionnaires. Il n'en resterait presque plus une seule.

Un gros problème. Surtout dans un pays qui compte plus de femmes que d'hommes (elles constituaient 54% de la population russe, selon les derniers chiffres de 2018 – je vous laisse faire vos estimations aujourd'hui, à l'heure de la mobilisation...). La Russie est un pays qui n'arrive toujours pas, malgré les promesses et les mirages d'égalité au temps soviétique, à considérer les femmes comme autre chose que des vierges à posséder, puis des poules pondeuses, et enfin des ménagères.

Un clitoris dans l'espace?

La Russie aurait-elle envahi l'Ukraine, si une femme avait été à sa tête? Peut-être bien que oui. Mais la Russie aurait-elle envahi l'Ukraine, si tout son système politique postsoviétique n'avait pas été pensé puis mis en place par une grande majorité d'hommes? Peut-être bien que non. Peut-être bien qu'un système russe qui aurait été construit par autant d'hommes que de femmes serait moins impérialiste, davantage porté sur le «soft power» et la diplomatie.

D'autant plus que les hommes qui ont construit la Russie moderne ont presque tous été traumatisés par les purges staliniennes ou la guerre d'Afghanistan, ou éduqués «à la dure» dans les jeunesses communistes, ou dans les écoles du KGB.

Bref, ma thèse est la suivante: à cause (ou plutôt grâce) à leur éducation, les femmes sont un peu moins susceptibles de mettre en place des systèmes autoritaires, un peu moins enclines à vouloir s'arroger un pouvoir absolu (sur terre ou dans l'espace). Et un peu plus intéressées à maintenir la paix dans le monde.

Mais le fait d'avoir des femmes à des postes à responsabilité au sein d'un système politique pensé par des hommes pour des hommes ne changera pas grand-chose (ou très lentement), si cette égalité numéraire n'est pas accompagnée d'une vraie remise en question dudit système.

Si les femmes n'y mettent pas leur grain de sel, et continuent de se comporter comme des hommes comme les autres, de peur de passer pour faibles ou chiantes, rien ne va vraiment changer. À part que nous risquons de bientôt voir un clitoris géant flotter dans l'espace, aux côtés du Falcon 9 d'Elon Musk.

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