Chronique de Nicolas Capt
L’Être souverain, un drôle de bouclier de papier contre les gendarmes

Me Nicolas Capt, avocat en droit des médias, décortique deux fois par mois un sujet d’actualité pour Blick. Cette semaine, il nous parle des «citoyens souverains», ces personnes qui ne voient plus l'Etat que comme une entreprise, dont ils ne veulent pas faire partie.
Publié: 16.04.2024 à 10:43 heures
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Dernière mise à jour: 17.04.2024 à 15:15 heures
Nicolas Capt, avocat en droit des médias

La scène, devenue virale, relève du surréalisme le plus total: deux citoyens français, cloitrés dans leur voiture verrouillée à double tour, narguent de façon ubuesque des gendarmes désemparés en leur débitant des articles de loi abscons appliqués de manière parfaitement fantaisiste. Pour un peu, on croirait voir un magicien du dimanche scander des formules magiques pour préparer un philtre.

La finalité? Le conducteur, qui prétend s’appeler «Pierre, de la famille Legrand par ouï-dire», n’entend pas obtempérer à un contrôle d’alcoolémie. Refusant de s’identifier, de présenter des papiers officiels et de sortir du véhicule à la demande des pandores, l’homme se prétend un «être souverain», indiquant que la gendarmerie, qu’il voit comme une forme d’entité privée à la solde de l’entreprise France, n’a aucune légitimité à son endroit.

Là encore, les formules hallucinées fusent: «Je n’appartiens plus à l’entreprise République française présidence. Bah oui, c’est une société depuis 1947. Et vous, vous êtes aussi enregistrés à la secte Washington DC, ce qui fait de vous des mercenaires sur le sol français».

«Refus de contracter»

Tout le reste du contrôle routier se déroule sur la même tonalité, les occupants rétorquant à chaque injonction des militaires qu’ils «refusent de contracter», ce par quoi il faut comprendre qu’ils estiment s’inscrire dans un rapport contractuel civil avec la force publique, avant de se voir extraits manu militari de l’habitacle après que la vitre du conducteur a été brisée par les gendarmes. L’affaire pourrait se limiter à une fantaisie hallucinée.

Elle est, en réalité, le fruit d’un large et ancien mouvement, que d’aucuns qualifieraient de complotiste, né dans les années 1970 aux Etats-Unis et connu sous le nom de «Sovereign Citizens». Selon la doxa de cette mouvance, il s’agirait de refuser de respecter les lois de l’Etat. Plus précisément, leurs membres estiment que l’Etat volerait secrètement l’identité de ses citoyens, avec la complicité d’un curieux aréopage d’individus (banquiers, gens de médias, magistrats et fonctionnaires de l’Etat civil). Dans quel but ? Faire de chaque citoyen un bon du Trésor. Si, si.

Tout cela pourrait simplement prêter à sourire si les autorités, notamment américaines, n’avaient pas identifiés ces mouvements sécessionnistes comme présentant une véritable menace pour l’ordre public. En effet, refusant les jugements des tribunaux et les diligences policières, ces activistes se révèlent parfois agressifs à l'égard des forces de l’ordre, notamment, certains épisodes se terminant en des incidents violents, voire mortels. Au-delà du refus, fantaisiste dans son expression, de l’ordre établi, ces poches de résistance sont indéniablement le témoin d’une défiance croissante, et du profond désespoir qui l’accompagne, des citoyens envers l’Etat, défiance largement nourrie par des comptes dédiés sur les réseaux sociaux.

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