Un prêt de plusieurs milliards pour un cheikh
Ce qui se cache derrière le deal d'UBS avec les Qataris

L'UBS aurait mis neuf milliards à disposition d'un cheikh de l'émirat du Qatar sous forme de crédit, une somme exceptionnellement élevée. La banque prend ainsi un risque considérable.
Publié: 29.10.2023 à 20:11 heures
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Dernière mise à jour: 29.10.2023 à 21:05 heures
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Christian Kolbe

Sur la place financière, beaucoup se frottent actuellement les yeux: l'UBS aurait accordé au cheikh qatari Hamad bin Jassim bin Jaber Al Thani - également connu sous son sigle HBJ - un crédit pouvant atteindre 9 milliards de dollars. C'est ce que rapporte l'agence de presse Bloomberg en se référant à des sources anonymes.

Concrètement, il s'agirait de remplacer un crédit actuel du Crédit Suisse pour un montant pouvant atteindre 6 milliards de dollars. Toutefois, l'UBS ne se contente pas de le remplacer, elle en rajoute une couche - et augmente la ligne de crédit de 50%.

On ignore combien HBJ a retiré du crédit précédent, tout comme les autres détails de ce deal inhabituel. La banque ne dit rien à ce sujet et ne communique, bien évidemment, pas de détails sur sa clientèle.

L'UBS a donné son feu vert pour ...
Photo: keystone-sda.ch
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Une somme exceptionnellement élevée

Une telle somme pour une seule personne est tout sauf normale. «Cet ordre de grandeur est extrêmement inhabituel», déclare Michael Klien, analyste bancaire à la Banque cantonale de Zurich. «C'est certainement un gros risque. Mais je pars du principe qu'UBS essaie de le minimiser», ajoute l'expert. Ne serait-ce que parce que la Finma, l'autorité de surveillance des marchés financiers, regardera de très près ce crédit de grand ampleur.

Andreas Venditti a lui aussi été surpris par le montant du crédit. Comme pour Michael Klien, l'analyste bancaire de Vontobel est clair: «L'UBS ne distribue pas des crédits comme ça. Je pars du principe que de gros actifs sont déposés en garantie». Par exemple un certain nombre d'actions, des participations dans des entreprises ou des biens immobiliers.

HBJ fait partie des personnes les plus riches du monde. «Forbes» estime sa fortune à environ 1,2 milliard de dollars. De plus, le cheikh fait partie de la famille dirigeante de l'émirat du Qatar, qui pèse des milliards. HBJ a lui-même été ministre des affaires étrangères et premier ministre, ainsi que directeur du fonds souverain qatari. Grâce à ses milliards, le Crédit Suisse a pu traverser la crise financière sans aide de l'Etat. Le fonds souverain a longtemps été le plus grand actionnaire de la banque.

Une affaire délicate

Il est bien possible que ce soit Iqbal Khan, le plus haut gestionnaire de fortune de l'UBS, qui ait mis en place le deal. Il occupait également ce poste chez Crédit Suisse, avant de passer à la concurrence avec beaucoup de fracas. Au Crédit Suisse, Iqbal Khan avait entretenu de bons contacts avec les Qataris.

La transaction est politiquement délicate. L'émir du Qatar - un cousin de HBJ - est considéré comme l'un des principaux bailleurs de fonds de l'organisation terroriste islamiste Hamas. En même temps, il tente de se faire passer pour un médiateur pour les otages du Hamas détenus dans la bande de Gaza.

Dans l'intérêt de l'UBS

D'autre part, il s'agit également des intérêts commerciaux d'UBS dans la région. Des pays comme l'Arabie saoudite ou les Emirats tentent depuis longtemps de réduire leur dépendance au pétrole et au gaz et d'investir dans de nouveaux domaines d'activité comme le tourisme. Dans la région du Golfe, les grandes banques mondiales et les banques privées travaillent ensemble. Toutes veulent se faire une place parmi les cheikhs, qui pèse des milliards.

Il pourrait donc même être dans l'intérêt de l'UBS que l'octroi de crédit à HBJ soit connu. Bien que les affaires avec les super-riches soient habituellement très discrètes. Cela pourrait indiquer un message clair de la grande banque: «Nous pouvons aussi jouer dans cette ligue et réaliser de gros deals», suppose Michael Klien.

Andreas Venditti voit lui aussi ce crédit dans un contexte plus large: «Dans ces milieux, une telle affaire peut être un argument pour garder ou gagner un client». Cela ne vaut pas seulement pour l'espace arabe, mais pour toute l'Asie. Là-bas, il y a de nombreux entrepreneurs très riches qui ont toujours besoin de cash, car leur fortune est liée à leurs propres entreprises, explique l'analyste bancaire de Vontobel.

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