Un conseille de Poutine s'inquiète
«Dans un combat d'artillerie, l'Ukraine nous battrait à coup sûr»

L'armée russe semble de plus en plus en difficulté sur le front ukrainien. Un conseiller du gouvernement russe identifie deux problèmes majeurs pour les troupes: le manque d'équipement et d'expérience des soldats.
Publié: 11.08.2022 à 20:18 heures
Anastasia Mamonova

Le journaliste russe Piotr Skorobogatiy s'est entretenu avec Ruslan Pukhov sur la situation de guerre actuelle. Ce dernier dirige le Centre d'analyse des stratégies et des technologies, basé à Moscou, et est membre du Conseil des experts du Ministère russe de la défense depuis 2012. Il n'est donc pas seulement proche du gouvernement de Vladimir Poutine, mais en tant que conseiller, il connaît aussi exactement les dernières avancées de l'armée du Kremlin sur le front.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que Ruslan Pukhov voit tout en noir. Selon lui, l'armée russe ne dispose quasiment pas d'avions de combat modernes. Elle manque en outre d'armes de précision et d'appareils de visée de dernière génération. Les appareils russes sont très mal équipés et leur force de frappe est considérablement réduite, explique-t-il dans l'interview publiée sur le site du Centre PRISP.

«Les Ukrainiens ont beaucoup d'artillerie et d'avions de combat»

Ruslan Pukhov voit également de grosses lacunes pour les troupes au sol. Il y a «un manque considérable de soldats dans l'infanterie», assure-t-il. Le front est beaucoup trop étendu par rapport aux forces en présence. «Les Ukrainiens sont sur la défensive, ils ont beaucoup d'artillerie et d'avions de combat. Nous, en revanche, devons percer le front avec un nombre insuffisant de soldats et avec des chars vulnérables.»

Ruslan Pukhov (à gauche) est le directeur du Centre d'analyse de la stratégie et de la technologie à Moscou. Il est membre du conseil des experts du gouvernement russe. A ses côtés, ici, le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou.
Photo: Facebook/Centre for Analysis of Strategies and Technologies
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«Même notre char le plus moderne, le T-90, est une modification du T-72 obsolète, poursuit-il. Pour le dire simplement, ce n'est ni plus ni moins qu'une modification d'un ancien char soviétique.» L'homme estime ainsi qu'il est injuste, dans ces conditions, d'exiger des troupes russes de résister à des technologies anti-chars dernier cri.

«Nous tirons des milliers de projectiles n'importe où»

Le Russe poursuit: cette ancienne génération de chars possède un équipement de protection obsolète. «Les Israéliens, par exemple, ont équipé leurs chars de systèmes de protection actifs. Les Américains le font aussi, mais pas nous. Cela me questionne beaucoup sur notre armée», explique Ruslan Pukhov.

Quand on parle de systèmes de protection, c'est comme «un combat de gladiateurs», image l'expert en guise de comparaison: «L'un se bat avec une épée et un bouclier, l'autre avec un trident et un filet.»

«Nous tirons des centaines, voire des milliers de projectiles n'importe où. Ils sont bon marché, mais ne touchent pas leurs cibles. En face, seuls deux projectiles de haute précision de l'adversaire font nettement plus de dégâts», déplore Ruslan Pukhov.

Les Ukrainiens sont plus expérimentés

Les dernières années auraient en outre joué en faveur des Ukrainiens: «Ils forment activement leur armée depuis huit ans. Ils ont pratiquement recruté toute leur infanterie à travers le Donbass et savent utiliser activement leur artillerie. Du côté russe, nous n'avons utilisé notre artillerie que de manière très limitée, généralement en Syrie ou lors d'exercices, alors qu'eux l'ont utilisée en situation de combat directement. Par conséquent, leur artillerie est plus expérimentée.»

Ruslan Pukhov résume: «En cas de duel d'artillerie, il est plus que probable que les Ukrainiens nous battent. De manière générale, l'utilisation de petits drones a révolutionné l'utilisation de l'artillerie. En Russie, nous avons raté cette révolution et devons maintenant la rattraper.»

L'Occident ne veut pas risquer une trop grande escalade

D'après l'expert militaire, la situation s'est particulièrement aggravée pour l'armée russe depuis le début des livraisons d'armes par l'Occident. Jusqu'ici, les deux camps utilisaient des armes soviétiques avec de faibles portées. Désormais, les Ukrainiens ont un avantage considérable: «L'artillerie occidentale moderne a une portée plus importante.»

L'Ukraine se plaint néanmoins depuis un certain temps que les livraisons d'armes occidentales sont trop lentes et trop hésitantes. C'est également ce qu'observe Ruslan Pukhov. Il y a selon lui deux raisons à cela: premièrement, l'Occident ne veut pas gaspiller tout son arsenal pour l'Ukraine.

Et deuxièmement, il faudrait que les soldats ukrainiens soient davantage formés à l'utilisation des armes occidentales pour être totalement efficaces. Or, «l'Occident n'est pas prêt à une telle participation et à mener un tel risque d'escalade, à l'exception de quelques russophobes invétérés comme les Polonais», complète sans détour Ruslan Pukhov.

«Notre armée ne pourra plus avancer»

Sans considérer les soutiens apportés en termes d'armement, les Ukrainiens ont très vite appris et prouvé «qu'ils étaient des guerriers très talentueux», constate Ruslan Pukhov. «La sous-estimation de l'ennemi nous a joué un mauvais tour», admet-il. Et il ose même un pronostic: «D'ici la fin de l'été, la situation sur le front pourrait s'aggraver de manière dramatique.»

En outre, aucune mobilisation n'a encore été décrétée en Russie, alors que les Ukrainiens en sont déjà à leur quatrième vague de mobilisation depuis le début du conflit: «A un moment donné, on arrivera à une impasse. Et notre armée ne pourra tout simplement plus avancer.»

L'homme exclut également le pire des scénarios en affirmant: «Ce n'est pas comme si nous allions les attaquer avec des armes nucléaires.»

(Adaptation par Thibault Gilgen)

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