Suède et Finlande
Et si la neutralité valait mieux que l'OTAN face à Moscou?

La décision de la Suède et de la Finlande de déposer leur candidature à l'Alliance atlantique dominée par les États-Unis peut apparaître comme une conséquence logique de la guerre en Ukraine. Mais l'abandon de leur neutralité posera d'autres problèmes pour l'Europe.
Publié: 19.05.2022 à 19:26 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

La Suède et la Finlande ont-elles rendu un très mauvais service à l'autonomie stratégique du continent européen en abandonnant leur neutralité historique pour déposer mardi leur candidature à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN)? La question peut sembler irréaliste, compte tenu de la popularité actuelle dans ces deux pays de ce rapprochement stratégique avec l’Alliance atlantique dominée par les États-Unis, pour contrebalancer la menace militaire russe.

La Finlande, dont la frontière avec la Russie court sur près de 1300 kilomètres, sait en plus ce qu’un affrontement militaire avec Moscou veut dire. De novembre 1939 à mars 1940, les troupes finlandaises durent subir les assauts de l’armée rouge de Staline, vaillamment repoussés, mais qui obligèrent alors Helsinki à mettre un genou à terre. Depuis, le terme de «finlandisation» désignait une neutralité imposée par le Kremlin à son voisin du grand Nord, contraint jusqu’à la désintégration de l’ex-URSS de ménager l’ours russe tapi à proximité.

Une autre forme de sécurité

Et pourtant, la neutralité de ces deux pays, comme celle de l’Autriche – désormais elle aussi dans le collimateur des partisans d’une expansion de l’OTAN — ou bien sûr celle de la Suisse, était porteuse d’une autre forme de sécurité: celle de la diplomatie armée. Ce n’est évidemment pas un hasard si l’acte donnant naissance à l’Organisation pour la sécurité en Europe (OSCE) a été signé en 1975 à Helsinki, avant que l'OSCE ne s’installe à Vienne. Ce n’est pas un hasard non plus si le fameux sommet entre George Bush père et Mikhaïl Gorbatchev, après la chute du mur de Berlin, eut lieu le 9 septembre 1990 dans la capitale finlandaise.

Le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, pose avec les candidatures de la Suède et de la Finlande.
Photo: AFP

La neutralité de ces deux puissances scandinaves, protégées par des armées bien équipées – la Finlande a décidé en décembre dernier d’acquérir 64 chasseurs F-35 américains, suivant l’exemple de la Suisse quelques mois plus tôt – avait l’immense mérite de constituer un pont ouvert sur la Baltique, mer stratégique s’il en est pour la Russie. Une mer Baltique assurée, si l’OTAN accepte les candidatures suédoises et finlandaises, de devenir purement et simplement un «lac Otanien» renfermant les deux pôles stratégiques russes que sont Saint-Pétersbourg et l'enclave de Kaliningrad.

Dans un essai récent et percutant, «Pour une neutralité active» l'ancienne Cheffe du département des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey défend la neutralité helvétique comme un autre modèle de garantie sécuritaire. Et ce n’est pas faux! Car la neutralité porte, en elle, les vertus que sont la recherche inlassable de la paix et de la négociation. Elle est souvent, comme en Suisse, le résultat de l’histoire et de défaites passées. Elle correspond aussi, souvent, à une réalité géographique. La neutralité se nourrit de la recherche d'un équilibre entre les forces en présence. Autant de facteurs qui recoupent les besoins et la personnalité de l'Union européenne, condamnée à vivre avec sa voisine russe.

Or que vont gagner la Suède et la Finlande en rejoignant l’OTAN, créée en 1949 pour faire face au défunt Pacte de Varsovie et aujourd’hui forte de trente pays membres? Sur le papier, leur gain principal se nomme l’article 5 de défense collective qui «unit les membres de l’Alliance, ceux-ci s’engageant à se protéger mutuellement». Son unique activation jusque-là, le 11 septembre 2001 après les attentats de New York, fut avant tout symbolique mais justifia ensuite la participation de l’Alliance aux opérations militaires contre les Talibans en Afghanistan. Avec le succès que l’on sait…

Et si Donald Trump revenait ?

Et après? Qu’adviendra-t-il de cet article 5 si Donald Trump ou l’un de ses émules républicains revenait au pouvoir à Washington en 2024? L’ex-président des États-Unis ne faisait pas mystère, lorsqu’il était à la Maison-Blanche, de son peu de goût pour une clause «automatique», préférant juger d’abord de l’intérêt économique et commercial d’une guerre possible pour son pays.

Trump fustigeait l’OTAN, dont le président français Emmanuel Macron avait, en riposte, dénoncé la «mort cérébrale». Voilà en plus que la Turquie menace maintenant d’opposer son veto à ces nouvelles adhésions en invoquant le sort des soi-disant terroristes kurdes protégés par les deux pays scandinaves.

Être neutre n’empêche pas de s’armer

La neutralité peut bien sûr être bafouée. Les Soviétiques sous Staline l'ont montré, ainsi que les Nazis, lorsqu’Hitler décida en 1940 d’envahir la Belgique neutre pour déferler ensuite sur le France. Être neutre n’a d’ailleurs jamais empêché de s’armer. Mais le fait de ne pas vouloir prendre part à un conflit international, dans le contexte d’une Europe aujourd’hui otage de facto de la guerre en Ukraine, peut se révéler comme une arme précieuse, pour le pays concerné, pour sa population et aussi pour maintenir sur le continent européen un espace de discussion non inféodé au colosse militaire qu’est l’hyperpuissance américaine.

Il ne s’agit pas ici de nier la menace constituée par Vladimir Poutine et ses délires d’annexion de l’Ukraine. Il s’agit de regarder la réalité en face. Cette guerre en Ukraine devra de toute façon se terminer par la négociation. La transformer en guerre entre deux blocs, sans espace intermédiaire, n’est peut-être pas la meilleure option stratégique pour une Union européenne demandeuse d’autonomie, et dont la Suède et la Finlande sont membres. Et si, face à Moscou, une neutralité respectée et défendue valait mieux que l'OTAN ?

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