Son procès l'a transformé
Dans la tête de Salah Abdeslam, le djihadiste survivant du 13 novembre 2015

Salah Abdeslam a changé. Tout le monde a pu s'en rendre compte lors des neufs mois de procès des attentats du 13 novembre 2015 en France. Changement pour impressionner les juges ou transformation de ce jeune homme radicalisé de 32 ans? Portrait avant jugement.
Publié: 28.06.2022 à 18:06 heures
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Dernière mise à jour: 30.06.2022 à 00:00 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

La question ne les a pas quittés durant leurs délibérations. Et elle est assurée de continuer à hanter les magistrats après l’énoncé du jugement qu’ils prononceront mercredi 29 juin, face aux quatorze accusés présents dans le box du procès des attentats parisiens du 13 novembre 2015.

Salah Abdeslam, 32 ans, est-il un djihadiste endurci, rompu à la taqiya, la dissimulation commune chez les islamistes radicalisés, prêt à commettre de nouveaux actes terroristes s’il devait un jour sortir de prison où la justice belge l’a déjà, en 2018, envoyé pour 20 ans de détention?

Ou est-il au contraire, face aux cinq juges français qui l’ont observé au cours de neuf mois de procès, devenu cet homme presqu’ordinaire, pris dans l’engrenage islamiste à la suite de son frère Brahim qui, lui, s’est fait exploser lors de cette nuit fatale, sur la terrasse du café Comptoir Voltaire? À quelques centaines de mètres de là, le Bataclan, la salle de spectacle où avait lieu le concert des «Eagles of Death Metal», s’était transformé en horreur absolue sous les rafales de Kalachnikovs de trois terroristes morts ce soir-là, Samy Amimour, Foued Mohamed-Aggad et Omar Mostefai.

Un procès hors norme s’achève ce mercredi

Depuis l’ouverture de ce procès hors normes le 8 septembre 2021, dans une salle d’audience spéciale du palais de justice de Paris, à deux pas de la cathédrale Notre-Dame, Salah Abdeslam n’est que l’un des 20 accusés jugés, dont six sont présumés morts ou disparus.

Croquis de l'audience du 27 juin 2022.
Photo: AFP

Mais c’est sur lui, en ce jour de verdict, que tous les yeux seront braqués. Lui l’unique survivant des commandos terroristes du 13 novembre, arrivés de Belgique pour frapper le Stade de France, le Bataclan, et plusieurs terrasses de café parisiens sous la direction d’Abdelhamid Abaaoud, 28 ans, un djihadiste belge tué par la police française le 18 novembre 2015, lors de l’assaut contre l’appartement de Saint-Denis, ville de banlieue nord de Paris où il avait trouvé refuge avec l’un de ses complices et une nièce, Hasna Ait Boulahcen. C’est sur lui, qu’un livre a été consacré.

Ce livre, c’est «Convoyeur de la mort». Son autrice, Etty Mansour, y raconte comment ce jeune Français de Bruxelles a convoyé en voiture pendant des mois des terroristes venus de Syrie, comment il s’était rendu indispensable, comment il était programmé pour mourir en martyr. Jusqu’à cette nuit du 13 novembre 2015 dont il est le seul survivant, ayant réussi à prendre la fuite vers deux heures du matin pour la Belgique où il sera interpellé le 18 mars 2016 dans son quartier de Molenbeek.

Or voici qu’en neuf mois, Salah Abdeslam a changé. Début septembre 2021, ce trentenaire maintenu en détention à l’isolement dans une cellule toujours éclairée apparaissait enragé, interpellant les juges, invoquant Allah, rejetant la responsabilité des attentats islamistes sur les frappes occidentales à l’époque en Syrie. Comme un chien fou prêt à mordre.

Puis les semaines ont passé. Un contact s’est établi, via ses avocats, devenus ses confidents. Les regards ont été échangés avec les proches des victimes. Une fois, l’ex-djihadiste a même réclamé de l’eau à l’un d’entre eux. Les gendarmes qui encadrent les accusés ont cessé de l’admonester. Salah Abdeslam, en neuf mois, est peu à peu redevenu humain.

Salah Abdeslam, vraie ou fausse transformation?

Cette transformation est peut-être artificielle. Elle n’a peut-être pour seul but que d’éviter la peine de perpétuité incompressible qui signifierait une vie entière en détention, requise par le parquet national antiterroriste. À moins qu’elle ne soit là pour servir à ses co-accusés, notamment ceux qui vinrent de Belgique, au cœur de la nuit, pour le récupérer à Paris où il venait de se débarrasser de son gilet explosif: Hamza Attou et Mohamed Amri. Salah Abdeslam a ruiné leur vie.

Son coup de fil, passé vers deux heures du matin d’un téléphone acheté dans le 18e arrondissement de Paris, a signifié leur mort sociale. En voiture, le trio est reparti à l’aube vers Bruxelles. Stoppés par un barrage de la gendarmerie sur l’autoroute, ils parviennent à franchir la frontière. Six années de prison ont été requises contre Hamza Attou, qui a comparu libre et devra être de nouveau incarcéré s’il est condamné. Huit années de détention contre Mohamed Amri.

Ces peines, Salah Abdeslam a entendu le parquet les requérir contre ses «copains». Il s’est tassé dans son tee-shirt noir. Il a lissé ses cheveux mi-longs en arrière. Il n’avait plus, ce jour-là, sa barbe du début du procès. Les psychiatres l’avaient auparavant décrit comme «banal». «La participation à des projets criminels ne requiert ni d’être un grand malade, ni un grand psychopathe» avait expliqué l’un d’entre eux. Devant la justice, Salah le terroriste n’était plus «le convoyeur de la mort» mais celui dont la propre mort sociale risque aussi de frapper ses amis avec lesquels, dans le box des accusés, il échangeait parfois des rires.

Djihadiste par défaut ou tueur?

Salah Abdeslam est-il celui dont il a dressé le portrait dans ses aveux le 13 avril 2022? Ce djihadiste par défaut qui croit dans un islam rigoriste, mais n’entendait pas semer la mort le 13 novembre 2015 à Paris. Certaines victimes affirment qu’elles le croient. Le survivant serait en fait un lâche, apeuré dans le sillage de son frère violent, endoctriné par Abaaoud, le chef de gang improvisé qui, en Syrie, dans les rangs de l’État islamique, s’était fait photographier avec la tête d’un soldat syrien décapité.

Ses références à Mahomet, au mode de vie décadent de l’occident avec lequel il voulait rompre après s’être fait éconduire professionnellement à Bruxelles, seraient une façade obligée. Impossible, en prison où les islamistes pullulent, d’apparaître comme un renégat. Salah Abdeslam aurait en fait toujours cherché à sauver sa peau. Sa vie serait une fuite que le 13 novembre a transformée en précipice sans qu’il l’ait vraiment compris.

Il n’a pas tué

Voici l’homme que les juges vont juger mercredi 29 juin, en première instance. Il n’a pas tué. Il ne s’est pas fait exploser. Il n’a pas appuyé sur la détente d’une kalachnikov. Il n’avait même pas, selon sa copine de l’époque «le profil pour se rendre en Syrie» et combattre. Sauf que cet ancien consommateur et revendeur de cannabis, malfrat occasionnel, est l’accusé numéro un. Avant Mohamed Bakkali, «omniprésent, connu de tous les membres de la cellule, dont il est la partie émergée, la pièce maîtresse» selon l’accusation. Avant Sofyen Hayari et Osama Krayem, autres complices décisifs des commandos du 13 novembre, contre lesquels la perpétuité a été requise.

Salah Abdeslam parle aujourd’hui. Il n’est plus emmuré dans le silence et les attaques contre la justice. Il n’est plus celui qui, au début du procès, affirmait, odieux devant les victimes, «être traité comme un chien en prison». Il est le complice d’un meurtre de masse, qui a vu 130 personnes périr au nom d’une idéologie extrémiste.

C’est dans sa tête, comme dans celle de tous les djihadistes emportés par cette folie islamiste violente, que se trouvent les réponses si difficiles à accepter pour nos sociétés. Sa condamnation, qu’elle quelle soit, ne les fera pas disparaître.

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