Sauvetage de migrants
«La nuit, en pleine mer, le ciel et l'eau ne font qu'un»

Presque à cours de vivres, le bateau de sauvetage de SOS Méditerranée a finalement pu accoster vendredi matin en Italie avec 572 migrants à bord. Une Genevoise de l'équipage raconte ces 13 jours d'enfer en mer et la situation sur le pont.
Publié: 09.07.2021 à 15:34 heures
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Dernière mise à jour: 09.07.2021 à 23:35 heures
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Amit JuillardJournaliste Blick

Dimanche 4 juillet 2021. Deux ONG allient leurs forces dans une lutte contre le temps et la mort au larges des côtes libyennes. Pilotes volontaires survole la mer Méditerranée. Depuis les airs, le Colibri 2 repère une embarcation de migrants en détresse. L’alerte est donnée. L’Ocean Viking de SOS Méditerranée, qui navigue dans la zone de recherche et de sauvetage, se lance à sa recherche.

«La nuit en pleine mer, le ciel et l’eau ne font qu’un, décrit Claire, Genevoise membre de l’équipage, jointe par Blick quatre jours après. Nous étions avec nos jumelles sur le pont. Rien. Mais tout à coup, des lueurs s’allument, au loin. A ce moment-là, nos canots de sauvetage rapides partent. En arrivant sur place, nos équipes se rendent compte que le bateau en bois est plus peuplé qu'attendu. A bord, 369 personnes déshydratées et traumatisées par ce qu’elles ont vécu en Libye et l’esclavage moderne. Je reste sur le pont, j’attends.»

Première mission en mer Méditerranée pour la Genevoise Claire.
Photo: Flavio Gasperini/SOS MEDITERRANEE

Il faut aller vite. «L’embarcation peut chavirer à tout moment.» C’est le sixième – et plus gros – sauvetage depuis qu'Ocean Viking a quitté Marseille le 27 juin. Les humanitaires et les migrants secourus quelques jours plus tôt font monter femmes, enfants et hommes un à un à bord. «On voyait les navettes arriver. Sans arrêt. Il fallait leur enlever leur gilet de sauvetage, leur donner un masque, les enregistrer.» Cinq heures durant. Le vaisseau amiral est «comme une petite fourmilière».

Près de 370 migrants ont été sauvés dans la nuit du 4 au 5 juillet par l'ONG SOS Méditerranée.
Photo: AFP
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«Un homme s’est jeté par-dessus bord»

Désormais, 572 personnes peuplent le navire de SOS Méditerranée, 69 mètres de long. «Il y a des gens partout sur le pont, témoigne Claire, qui en est à sa première mission pour l’ONG basée en Suisse, en France, en Allemagne et en Italie (lire encadré). Nous avons dû poser des cordes pour pouvoir s’accrocher et éviter d’écraser les pieds des rescapés sur le pont. Les tensions montent avec la promiscuité. La chaleur est étouffante. Mercredi soir, un homme désespéré s’est jeté par-dessus bord. Nous avons pu le sauver. Et d’ici ce samedi, nous n’aurons plus assez de rations alimentaires pour nourrir tout le monde. Nous avons déjà lancé cinq demandes pour pouvoir accoster, mais nous sommes sans nouvelles depuis 72 heures

L'Ocean Viking de SOS Méditerranée, ici le 6 juillet 2020.
Photo: AFP

L’appel aura duré 10 minutes. Claire, également chargée de communication de SOS Méditerranée depuis plus de deux ans, doit déjà quitter sa cabine. «Je dois aller distribuer des repas, justifie l’ancienne étudiante de la Graduate institute of international and development studies (IHEID) de Genève. Je dois aussi aller assister les sages-femmes qui recueillent les témoignages de femmes victimes de violences sexuelles en Libye.»

Explosion de joie

Jeudi soir, 22h45. «Bonsoir, l’Ocean Viking a reçu ce soir des autorités maritimes italiennes une nouvelle fort attendue: les 572 rescapés débarqueront à Augusta, en Sicile, nous écrit sur WhatsApp Elliot Guy, un porte-parole resté à terre. C’est un immense soulagement de savoir leur épreuve en mer presque terminée et que les six sauvetages seront enfin bientôt finalisés.» A l’annonce de la nouvelle à bord, c’est l’explosion de joie, comme en témoigne cette image par SOS Méditerranée.

Les rescapés exultent: ils viennent d'apprendre qu'ils pourront finalement accoster en Sicile.
Photo: Flavio Gasperini/SOS MEDITERANEE

Vendredi matin, 9h10: l’Ocean Viking est à quai. L’équipage attend l’autorisation de débarquer. «Cela va prendre du temps, explique Elliot Guy en fin de matinée. Nous avons parfois dû attendre 72 heures. Pour l’instant, nous n’avons pas d’information et nous ne savons pas si nous allons pouvoir être ravitaillés. Je vous tiens au courant.» A 11h30, le débarquement commence. «Les mineurs non accompagnés et les cas médicaux ont été les premiers à toucher terre. Ils sont tous testés pour le Covid-19», précise le communicant. Derrière ses mots, le soulagement.

30'000 migrants sauvés depuis février 2016

Fondée en 2015, SOS Méditerranée et son équipe d’une cinquantaine de personnes assurent avoir sauvé 33’000 migrants depuis février 2016. Dont 2’000 en 2021. «Nous avons d’abord affrété l’Aquarius durant un an et demi, raconte Elliot Guy, porte-parole. Sous pression des autorités italiennes, le bateau a été «dépavillonné» par Gibraltar puis par le Panama.» En 2018, une pétition circule en Suisse. Les 34’000 signataires demandent au Conseil fédéral de donner un pavillon helvétique au navire. Sans succès.

«Nous nous sommes séparés de l’Aquarius fin 2019. Il était devenu un symbole trop connu et les Etats l’avaient dans le viseur. Plus récent, l’Ocean Viking est fait pour le sauvetage offshore. Nous avons repris nos opérations à l’été 2020.» Et puis, le navire est resté bloqué plus de cinq mois dans un port italien par les autorités pour des «irrégularités techniques». Après trois inspections et des travaux, pour ajouter des radeaux de survie notamment, l’Ocean Viking est libéré le 21 décembre 2020. A bord, il y a aussi une clinique. «D’autres bateaux sont encore détenus en Italie. Actuellement, nous sommes les seuls à pouvoir secourir des embarcations en détresse en Méditerranée.»

En 2020, plus de 1’100 migrants sont morts sur ce parcours qui relie l’Afrique du Nord à l’Europe, selon l’Organisation internationale pour les migrations. En 2021, 866 personnes ont péri. «Depuis 2014, plus de 22 000 personnes ont perdu la vie en mer Méditerranée», déplore Elliot Guy.

Fondée en 2015, SOS Méditerranée et son équipe d’une cinquantaine de personnes assurent avoir sauvé 33’000 migrants depuis février 2016. Dont 2’000 en 2021. «Nous avons d’abord affrété l’Aquarius durant un an et demi, raconte Elliot Guy, porte-parole. Sous pression des autorités italiennes, le bateau a été «dépavillonné» par Gibraltar puis par le Panama.» En 2018, une pétition circule en Suisse. Les 34’000 signataires demandent au Conseil fédéral de donner un pavillon helvétique au navire. Sans succès.

«Nous nous sommes séparés de l’Aquarius fin 2019. Il était devenu un symbole trop connu et les Etats l’avaient dans le viseur. Plus récent, l’Ocean Viking est fait pour le sauvetage offshore. Nous avons repris nos opérations à l’été 2020.» Et puis, le navire est resté bloqué plus de cinq mois dans un port italien par les autorités pour des «irrégularités techniques». Après trois inspections et des travaux, pour ajouter des radeaux de survie notamment, l’Ocean Viking est libéré le 21 décembre 2020. A bord, il y a aussi une clinique. «D’autres bateaux sont encore détenus en Italie. Actuellement, nous sommes les seuls à pouvoir secourir des embarcations en détresse en Méditerranée.»

En 2020, plus de 1’100 migrants sont morts sur ce parcours qui relie l’Afrique du Nord à l’Europe, selon l’Organisation internationale pour les migrations. En 2021, 866 personnes ont péri. «Depuis 2014, plus de 22 000 personnes ont perdu la vie en mer Méditerranée», déplore Elliot Guy.

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