Pénurie de soignants
Le service de santé britannique menacé

Coronavirus, vague de départ à la retraite, durcissement des règles d'immigration découlant du Brexit: le service public de santé britannique (NHS) se trouve menacé par une grave pénurie de personnel. Sa survie dépend des soignants étrangers.
Publié: 10.10.2021 à 08:26 heures
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Dernière mise à jour: 10.10.2021 à 08:27 heures

Avec pas moins de 211 nationalités dans ses services en Angleterre, le NHS, dont la gratuité fait la fierté des Britanniques, est en effet l'un des employeurs les plus cosmopolites au monde.

C'est pourquoi l'impossibilité de voyager lors de la pandémie de Covid-19 a créé une grave pénurie de soignants, estime auprès de l'AFP Faizan Rana, responsable des opérations dans un hôpital londonien. Au total, 3700 soignants étrangers de moins qu'en 2019/2020 sont arrivés au Royaume-Uni entre mars 2020 et 2021.

Mais cela fait plusieurs années que la Grande-Bretagne attire moins. Selon le registre officiel, il y a 8000 infirmier.ère.s européen.ne.s de moins en 2021 qu'en 2016, année du référendum sur la sortie du pays de l'Union européenne.

Faire venir les soignants étrangers

Plus de la moitié de ceux qui quittent le Royaume-Uni ont en effet cité le Brexit comme raison de leur décision, rapporte une enquête du conseil des infirmières et sages-femmes, datant de 2020.

D'ici à 2029, le cocktail explosif créé par le Brexit, le durcissement des règles d'immigration et la pandémie pourrait se solder par une pénurie chronique caractérisée par le manque de 108'000 infirmier.ère.s, affirme le groupe de réflexion Health Foundation. Cela représenterait une perte de plus d'un tiers de son effectif actuel, qui s'élève à environ 300'000 infirmier.ère.s.

Faire venir des soignants étrangers a longtemps été «une solution de fortune» pour le Royaume-Uni, qui a subi 40 ans de «crises récurrentes», explique à l'AFP Mark Dayan, analyste au sein du cercle de réflexion sur la santé Nuffield Trust.

La contribution des immigrés au système de santé est une tradition qui remonte à l'après seconde guerre mondiale, lorsque les médecins des colonies britanniques avaient été envoyés dans des zones du Royaume-Uni en manque de soignants.

«Cabinet dont personne ne voulait»

Iftikhar Ali Syed, médecin à la retraite, est arrivé en 1960, après avoir quitté son Pakistan natal. Il a exercé pendant 45 ans à Burnley, ville industrielle du nord de l'Angleterre. Comme nombre de ses camarades, il a été envoyé dans une région pauvre, où le recrutement était plus difficile.

«Les médecins étrangers recevaient un cabinet dont personne ne voulait», explique l'homme de 86 ans, se souvenant de la vague de médecins immigrés comme lui qui avaient alors «inondé» Burnley, permettant à cette ville de se doter de sa première unité de cardiologie.

Mais une grande partie d'entre eux ont, comme lui, pris leur retraite dans les années 2000, créant une pénurie dans cette région, où les immigrés sont surreprésentés au sein du personnel soignant, accentuée encore par «l'énorme demande» générée par les départs post-Brexit.

Le Brexit a aussi complexifié la venue de nouveaux soignants, avec l'instauration d'un système d'immigration à points, dans lequel les candidats doivent satisfaire à des niveaux de salaire et de maîtrise de l'anglais, et avoir une offre pour un emploi qualifié.

«Crise existentielle»

Même si un régime spécial de visas existe pour le personnel de santé, Akshay Akulwar, médecin indien de 34 ans au NHS, estime que ses compatriotes préféreront de plus en plus l'Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande et le Moyen-Orient au Royaume-Uni, en raison de leurs visas plus généreux.

Selon Mark Dayan, cette réforme touchera particulièrement les métiers du social, étroitement lié au NHS, mais où le personnel très peu payé n'est pas considéré comme qualifié, alors même que le secteur a déjà particulièrement souffert avec la fin de la «soupape de sécurité», que constituait la libre circulation des personnes au sein de l'UE.

La situation relève d'une «crise existentielle», affirme Rebecca Bland, 42 ans. Son agence d'infirmier.ère.s, qui travaille avec le NHS, fonctionne en grande partie grâce à des travailleurs venus des Philippines. Elle n'a, l'année dernière, réussi à recruter qu'un dixième du personnel nécessaire, «poussant à la limite» les employés restant.

Le gouvernement britannique a annoncé ce mois-ci allouer au NHS 36 milliards de livres supplémentaires (45,5 milliards de francs) sur trois ans. Mais injecter des fonds ne suffira pas à résoudre la pénurie de personnel, affirme l'analyste Mark Dayan, qui préconise plutôt une meilleure planification et formation des effectifs.

(ATS)

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