«Nous n'avons pas peur»
Des résistants iraniens se confient après les exécutions

Malgré les exécutions, les manifestations continuent en Iran. Bien qu'elles n'aient pas encore fait tomber le régime, elles auraient déjà contribué à faire évoluer les mentalités des hommes du pays.
Publié: 18.12.2022 à 21:20 heures
Camilla Alabor

La courte vidéo a fait le tour du monde. Majidreza Rahnavard, 23 ans, porte un bandeau sur les yeux. À sa gauche et à sa droite, des hommes cagoulés, probablement des membres des forces de sécurité l'encadrent. Avant son exécution, on demande au jeune Iranien ce qu'il y a dans son testament. Il ne veut pas que les gens se recueillent sur sa tombe: «Ne pleurez pas, ne lisez pas le Coran, ne priez pas. Soyez joyeux. Jouez de la musique joyeuse», demande le jeune Iranien.

Majidreza Rahnavard aura résisté contre le régime des mollahs jusque dans ses derniers instants. Au petit matin du 12 décembre, il a été pendu. Il était la deuxième victime que le gouvernement faisait exécuter dans le cadre des manifestations. Mais les protestations ne s'arrêtent pas là.

«Si nous ne faisons rien, ce sera pire»

Daria*, 39 ans, continue, elle aussi, de militer. Il y a quelques jours, elle a défilé avec quelques centaines de personnes dans le centre de Téhéran. «Nous n'avions pas de pancartes, nous ne criions pas de slogans», raconte Daria lors d'un appel vidéo.

Le régime iranien a recours à la violence et aux exécutions pour intimider la population. Certains n'osent plus participer aux manifestations.
Photo: Anonymous photographer/Middle East Images/laif

Puis, les forces de sécurité sont apparues brusquement et ont tiré sur les manifestants avec des balles en caoutchouc et des balles réelles. Daria s'en est tirée avec des bleus, pour cette fois.

Beaucoup de ses amies sont déjà en prison. Pourtant, la trentenaire continue de crier chaque soir depuis son balcon, avec des centaines d'autres. «Mort au dictateur!», scandent-ils tous ensemble. Les menaces de visites policières à cause de ses actes ne l'effraient pas.

Ne craint-elle pas d'être arrêtée? Ou même d'être condamnée à mort? «Nous n'avons pas peur, claironne Daria, comme pour se donner du courage. Nous n'avons pas le choix. Si nous ne le faisons pas, tout sera encore pire!»

La prison pire que la mort

Daria sait ce qui l'attend en prison. En 2009 déjà, elle était descendue dans la rue pour protester contre la falsification des élections par le régime et avait été arrêtée. L'emprisonnement était terrible, raconte-t-elle. Elle a été rouée de coups. Mais elle n'aime pas s'épancher sur cet épisode. «Il vaut mieux mourir qu'être arrêté», se borne-t-elle à commenter.

Les manifestations d'aujourd'hui sont différentes de celles de 2009, compare la résistante. «À l'époque, nous voulions réformer le régime.» Aujourd'hui, l'enjeu est plus important: «Le régime doit partir.» Les Iraniens veulent vivre comme les habitants d'autres pays: «Nous voulons notre liberté. Notre vie.»

Et pourtant, les exécutions sèment la terreur. Daria le reconnaît. «Ma famille me demande d'être prudente et de rester à la maison.» Pourtant, elle continue de désobéir.

Changement d'opinion des hommes

Au milieu de la violence, de l'impuissance, du désespoir, Daria réussit à déceler et entretenir une petite lueur d'espoir. Au moins chez les jeunes hommes, les protestations auraient conduit à un changement d'opinion. «Avant, il arrivait que mon ami me dise de me couvrir, se souvient Daria. Aujourd'hui, plus personne ne me dit ça.»

En acceptant de parler dans les médias, Daria prend un risque. Ceux qui s'expriment publiquement à l'étranger risquent d'être accusés de trahison. De plus, le régime a ralenti Internet en de nombreux endroits afin de rendre impossible le partage de vidéos et de photos. Téléphoner ou passer des appels vidéo est une tâche difficile ces jours-ci.

Farid*, 41 ans, de Téhéran, a contacté Blick par e-mail. «Nous avons peur parce que le gouvernement agit si brutalement contre les manifestants», écrit l'Iranien. De nombreuses personnes n'osent plus descendre dans la rue et limitent leur protestation aux réseaux sociaux. Le seul espoir de Farid est la communauté internationale. C'est le seul moyen d'arrêter le régime brutal.

En effet, un nouveau mouvement s'est formé ces derniers jours: des femmes parlementaires d'Allemagne et de Suisse parrainent des manifestants condamnés à mort. Elles s'engagent publiquement dans les médias sociaux contre l'exécution de «leurs» militants. En Allemagne, certaines d'entre elles ont écrit des lettres de protestation à l'ambassadeur iranien.

Protester: la seule voie possible

La pression aurait apparemment eu un effet. Le gouvernement iranien a au moins annoncé l'abolition de la peine de mort dans certains cas. Toutefois, les personnes concernées restent en prison - et donc à la merci du régime et de la torture de ses hommes en uniforme.

Karim* est toujours en liberté. Il participe régulièrement aux manifestations «pour partager ma voix avec le monde». Il écrit également par e-mail qu'il est heureux que le monde écoute les Iraniens. Parallèlement, il se dit stupéfait par la violence avec laquelle les mollahs agissent contre la population. L'un de ses amis aurait été arrêté uniquement parce qu'il avait soutenu les protestations en postant un message sur Instagram.

«La République islamique règne sur l'Iran comme l'État islamique», écrit Karim. Pour lui, il n'y a qu'une voie possible: «Les manifestations doivent continuer jusqu'à ce que la République islamique soit détruite, car le régime ne satisfera jamais les revendications de la population.»

*Tous les noms ont été modifiés pour protéger les personnes concernées.

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