Meloni accusée par Darmanin
Ce chaos africain qui pousse les migrants vers l'Italie

La colère du ministre de l'Intérieur français, Gérald Darmanin, contre le gouvernement de Giorgia Meloni masque une réalité: l'afflux de migrants vers l'Italie est en lien direct avec le chaos dans l'ex-«Françafrique». Rome exige des excuses.
Publié: 05.05.2023 à 18:35 heures
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Dernière mise à jour: 05.05.2023 à 18:57 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Ils sont ivoiriens, maliens, sénégalais, burkinabés. Ils accostent sur les côtes italiennes, le plus souvent après avoir transité par la Libye, à l’issue d’une terrifiante traversée du désert et de la mer Méditerranée. Les chiffres disent l’ampleur du défi migratoire pour le gouvernement de Giorgia Meloni, que le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a accusé jeudi 4 mai d’être «incapable» en matière d’immigration. Au point de déclencher une colère en deux temps: annulation de la visite du ministre italien des Affaires étrangères à Paris prévue dans la soirée du 4 mai, et demande d'excuses officielles formulée ce vendredi par Rome.

Logique. Rien qu’entre le 7 et le 10 avril, environ 3000 migrants, très majoritairement des Africains, ont atteint l’île italienne de Lampedusa. Sur place, le «hot spot» ouvert en 2015 par l’Union européenne est totalement débordé. Conçu pour héberger 250 personnes, il abrite derrière ses grilles près de 1500 migrants. Le 10 avril, 2000 individus ont été secourus en deux jours par les garde-côtes sur les rives de la Péninsule…

À l’origine de la victoire de Giorgia Meloni

Cet afflux migratoire n’est pas nouveau. Il est très largement à l’origine de l’arrivée au pouvoir, en septembre 2022, de l’ex-militante néofasciste Giorgia Meloni, 46 ans, à la tête d’une coalition de droite radicale. Résultat: une multiplication très rapide des heurts avec la France, où veulent se rendre la plupart des migrants venus des pays d’Afrique de l’Ouest.

Le ministre français de l'Intérieur, Gérald Darmanin, reproche à Giorgia Meloni d'être «incapable» de gérer la crise migratoire.
Photo: keystone-sda.ch
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En novembre 2022, le premier clash public survient au sujet de l’Ocean Viking, le bateau de l’association SOS Méditerranée que la cheffe du gouvernement italien refuse de laisser accoster, obligeant Emmanuel Macron à l’accueillir dans le port militaire de Toulon.

Depuis lors, les escarmouches entre les deux pays sont quotidiennes, rendues encore plus problématiques depuis l’adoption des nouvelles lois anti-immigration clandestine en mars par les autorités de Rome. Peines plus sévères pour les conducteurs de bateaux transportant des migrants, répression de la protection spéciale, nouvelles ouvertures de centres de détention pour le rapatriement, diminution du nombre de permis de travail accordés, nouveau décret pour traduire en justice quiconque «favorise, dirige, organise, finance ou exécute le transport d’étrangers sur le territoire de l’État».

L’Italie devient donc un pays de moins en moins hospitalier pour les migrants, augmentant leur désir de passer la frontière pour se rendre en France.

Le contrecoup des échecs militaires français en Afrique

Le problème est que le gouvernement français subit, là aussi, le contrecoup de ses échecs politiques et militaires en Afrique. Dans presque tous les pays d’origine des migrants, la présence française s’est évaporée et la crise entre les capitales africaines et Paris bat son plein. Or, quoi de plus simple, pour des gouvernements locaux en butte à l’ancienne puissance tutélaire de «Françafrique», que d’ouvrir les vannes migratoires?

Autre raison de cette accélération: le report du débat parlementaire du nouveau projet de loi sur l’immigration préparé par Gérald Darmanin. Prévu pour être examiné ce printemps, celui-ci ne le sera qu’à l’automne, et encore: seulement si une majorité se profile pour l’adopter. Conséquence: les passeurs et les têtes de réseaux, bien informés de ces retards législatifs, accélèrent le transit d’immigrants vers la France, via l’Italie. Ce projet de loi continent en effet des dispositions très proches de celles adoptées par le gouvernement italien. Un peu audacieux, dès lors, de reprocher à Rome son «incapacité» à ralentir les flux

En janvier, dans une tribune publiée par l’Institut Montaigne, le chercheur Jonathan Guiffard a abordé ce risque de contrecoup du retrait français précipité d’Afrique de l’Ouest: «La relation historique de la France avec l’Afrique de l’Ouest la positionne en première ligne face à des populations qui subissent soit une forte dégradation sécuritaire, soit d’importantes inégalités économiques ou de développement. Sa présence politique et économique centrale fait d’elle un épouvantail: ses erreurs historiques la rendent vulnérable aux attaques, et ses adversaires l’ont bien compris.»

Or, les flux migratoires ne sont pas le résultat de départs spontanés. Les réseaux de passeurs, au départ des pays du Sahel, sont souvent de mèche avec les forces de police locales ou avec les groupes rebelles, qui en profitent pour s’enrichir.

L’Italie, plus exposée avec ses frontières maritimes proches de la Libye, est le point de transit parfait pour des populations qui, contrairement au passé, nourrissent désormais bien plus les flux d’immigration clandestine, à la fois par dépit, par manque d’opportunités locales et par volonté politique de faire payer à Paris le prix de son départ précipité. «Les politiques migratoires françaises et européennes, et les débats politiques internes qu’elles suscitent, sont vécus comme vexatoires et injustes par des populations majoritairement jeunes, francophones, aspirant à une éducation de qualité et à des liens renouvelés entre la France et l’Afrique de l’Ouest», prévient Jonathan Guiffard.

La déliquescence de l’ex-«Françafrique»

C’est donc à la déliquescence de l’ex-«Françafrique», déclarée morte par Emmanuel Macron en mars dernier, que répond aussi cette augmentation des flux migratoires en Italie. Une réalité sur laquelle vont venir se greffer, à coup sûr, les conséquences humanitaires de la guerre civile au Soudan, pays de 45 millions d’habitants dont une partie de la population a déjà commencé à se réfugier au Tchad, frontalier de la Libye. «Avant cette dernière crise, le Soudan accueillait déjà plus d’un million de réfugiés. Un tiers de la population avait besoin de l’aide humanitaire et le pays comptait 3,7 millions de déplacés internes», a alerté Olga Sarrado, porte-parole du Haut Commissariat aux réfugiés à Genève.

L’Italie «incapable», comme l’accuse Gérald Darmanin? Non. Simplement débordée par un afflux de migrants dans lequel la politique française et ses échecs portent une part de responsabilité.

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