«Les missiles tombent du ciel»
Dans le désespoir de Gaza, un photographe palestinien raconte l'horreur

Le photographe Mohammed Zaanoun fait partie des 2,3 millions de personnes «emprisonnées» à Gaza sous une pluie de roquettes lancées par Israël. Il raconte l'inhumanité du blocus et les cadavres d'enfants qui jonchent les rues, en condamnant l'escalade de violence.
Publié: 12.10.2023 à 21:35 heures
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Samuel Schumacher et Chiara Schlenz

Les attaques du Hamas ont fait plus de 1200 morts israéliens et plusieurs milliers de blessés. En guise de riposte, l'armée israélienne a lancé une vaste offensive, en pilonnant la bande de Gaza.

Lors de ses tournées dans la bande de Gaza cette semaine, Mohammed Zaanoun a surtout photographié des femmes et des enfants. Des femmes et des enfants morts. «C'est la majorité des corps qui gisent le long des routes bombardées de Gaza», raconte le photographe palestinien lors d'un entretien téléphonique avec Blick.

Dans l'horreur des explosions, personne n'a le temps d'organiser des funérailles. Survivre est devenu l'unique priorité des 2,3 millions d'habitants de la région, deux fois plus grande que le canton de Glaris. «Nous devons constamment fuir. Partout, des fusées tombent littéralement du ciel», se désole Mohammed Zaanoun.

Israël a réagit aux attaques du Hamas sur son territoire par des centaines de tirs de roquettes dans la bande de Gaza.
Photo: Mohammed Zaanoun
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En musique de fond, la voix d'une présentatrice d'Al-Jazeera. Mohammed Zaanoun écoute d'une oreille, scrutant chaque info, chaque nouvelle demande d'aide susceptible de mettre un peu d'ordre dans le chaos mortel de Gaza.

Mais les liaisons radios ne cessent de s'interrompre. L'électricité et internet ne sont plus disponibles que dans quelques endroits de la bande de Gaza. La seule centrale électrique a été mise hors service mercredi. La nuit, l'obscurité enterre la région. Pourtant, impossible de dormir: «Il y a des attaques 24 heures sur 24», confie Mohammed Zaanoun. Il s'interrompt deux fois pendant l'entretien de 30 minutes: une violente explosion vient de déchirer le ciel.

La brutalité d'un blocus, en réponse à la brutalité d'une attaque

Plus de 1000 personnes ont été tuées cette semaine dans la bande de Gaza par des frappes aériennes, selon le ministère palestinien de la Santé. «J'ai fui ici avec mes quatre enfants, près du grand hôpital Al-Shifa», raconte Mohammed Zaanoun.

Son quartier d'origine a été attaqué mardi et son fils de dix ans a été blessé à la jambe. «Nous espérons qu'Israël épargnera les maisons ici, autour de l'hôpital.» Les bunkers à l'épreuve des bombes sont rares à Gaza. Des centaines de milliers de personnes se cachent dans les écoles et les hôpitaux.

Mais même dans ces bâtiments, la sécurité n'est pas garantie, selon le photographe: «Les attaques d'Israël ne touchent pas seulement des cibles militaires, mais aussi des innocents. Aujourd'hui même, trois médecins ont été touchés alors qu'ils tentaient de venir en aide à un blessé.» Dans de nombreux endroits, les équipes de secours ne parviennent plus du tout à atteindre les blessés en raison des routes détruites.

Aux bombes s'ajoute désormais la faim. Israël, qui ferme hermétiquement la bande de Gaza depuis des années, ne laisse actuellement entrer ni eau ni nourriture dans le territoire. Un moyen de pression pour que le Hamas libère les plus de 150 otages.

La population de Gaza «est condamnée»

Si la réaction défensive d'Israël à l'attaque du Hamas est compréhensible, le niveau de répression voulu par le gouvernement de Benjamin Netanyahu est lui aussi critiqué par de nombreux observateurs. Oliver Diggelmann, professeur de droit public à l'Université de Zurich, qualifie la coupure de l'électricité de «crime de guerre», car celle-ci pourrait entraîner la mort de personnes innocentes dans les hôpitaux.

Elizabeth Cossor, responsable de la Palestine auprès de l'organisation humanitaire Terre des Hommes, souligne à Blick: «Dans les circonstances actuelles et sans aide humanitaire dans cette prison à ciel ouvert, la population est condamnée.»

De son côté, Mohammed Zaanoun tente de rassurer ses quatre enfants du mieux qu'il peut. Quant aux otages enlevés par le Hamas, le photographe ne sait rien, dit-il: «Je n'ai aucune idée de l'endroit où ils se trouvent ni de leur état de santé. Je sais seulement que c'est mal de s'en prendre à des civils, en Israël comme ici.»

Impossible pour les civils de sauver leur peau

On estime à 30'000 le nombre de combattants du Hamas. Mais des centaines de milliers de personnes dans la bande de Gaza n'ont rien à voir avec eux. Tous sont désormais dans le collimateur de la contre-offensive israélienne. Et dans cette fatalité, prendre la fuite est impossible. La frontière avec l'Egypte est fermée et Israël ne laisse actuellement personne passer de Gaza vers l'Etat hébreu. Même un exode par la mer semble dangereux.

Mais Mohammed Zaanoun veut rester. «Je veux montrer au monde ce qu'il se passe ici avec mes photos. Peut-être que les gens regarderont.» En l'absence de témoin, Gaza deviendra une scène d'horreur absolue.

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