Le rédacteur en chef du magazine «Cicero» met en garde
«L'Allemagne traverse une profonde crise sociale, économique et politique»

L'Allemagne est profondément secouée. Comment la principale puissance économique européenne peut-elle se sortir de ce pétrin? Deux experts font le point et proposent des solutions.
Publié: 09.01.2024 à 06:11 heures
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Dernière mise à jour: 09.01.2024 à 08:25 heures
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Guido Felder

Le pays le plus fort d'Europe est presque à l'arrêt. Lundi, des agriculteurs ont fait grève dans tout le pays, paralysant le trafic dans de nombreuses villes. De mercredi à vendredi, les conducteurs de train refuseront aussi de travailler, entrainant des «répercussions massives» selon l'entreprise ferroviaire publique Deutsche Bahn.

Au niveau politique, l'inquiétude règne. Le gouvernement du chancelier Olaf Scholz, composé du SPD (Parti social-démocrate), des Verts et du FDP (Parti libéral-démocrate), vacille dangereusement. Deux nouveaux groupes politiques sont en train de voir le jour en raison de ces déchirements: l'alliance Sahra Wagenknecht et l'Union des valeurs de l'ancien chef de la protection de la Constitution Hans-Georg Maassen. Le journaliste et rédacteur en chef du magazine «Cicero» Alexander Marguier met en garde: «La crise allemande a pris une ampleur historique.»

Les nouveaux partis apportent de l'instabilité

Les nouvelles formations devraient continuer à fragmenter les rapports de force politiques et ainsi déstabiliser la situation politique. Selon une première analyse de la CDU (Union chrétienne-démocrate), le potentiel du parti de Sahra Wagenknecht est de 10%. Parce qu'elle réunit des positions allant de la gauche à la droite – limitation de l'immigration, limitation du mouvement woke, poursuite de l'exploitation du gaz et du pétrole bon marché, arrêt des livraisons d'armes à l'Ukraine et des sanctions énergétiques contre la Russie – l'ancienne vice-présidente de «Die Linke» Sahra Wagenknecht devrait attirer dans ses rangs des électeurs de tous les grands partis, y compris l'AfD (ndlr: l'Alternative pour l'Allemagne est un parti de droite radicale populiste).

Depuis lundi, les agriculteurs allemands protestent contre les mesures d'austérité prévues par le gouvernement en bloquant les accès aux autoroutes et en faisant circuler des convois de tracteurs dans les villes, comme ici à Hambourg.
Photo: imago/xim.gs
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«Il ne fait aucun doute que l'Allemagne traverse en ce moment une profonde crise sociale, économique et politique»
Alexander Marguier, rédacteur en chef du magazine «Cicero»
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Hans-Georg Maassen pourrait particulièrement magnétiser des électeurs conservateurs de la CDU ainsi que de l'AfD. Mais les experts estiment toutefois que son succès est plutôt faible, et que son parti est davantage un phénomène temporaire. On lui prédit une part de voix de 2% maximum.

Mais l'Allemagne doit également lutter contre l'extrémisme. A Essen, des islamistes ont réclamé à l'automne la proclamation d'un califat. Les néonazis hurlent leurs slogans de plus en plus fort, tandis que la gauche extrême devient, elle aussi, de plus en plus active.

Beaucoup soutiennent les paysans

L'analyse d'Alexander Marguier, rédacteur en chef du magazine politique allemand «Cicero», tire un coup fatal à l'Allemagne. Il déclare à Blick: «Il ne fait aucun doute que l'Allemagne traverse en ce moment une profonde crise sociale, économique et politique.»

Selon lui, les protestations des agriculteurs ne représentent pas seulement un petit groupe marginal, mais des couches plus larges de la population. Le mécontentement à l'égard du gouvernement, dont les trois partis de la coalition ne s'accordent pas sur le fond, est grand. À sa tête se trouve un chancelier qui ne montre aucune qualité de direction et qui laisse les citoyens dans l'incertitude quant à la direction qu'il veut donner au pays.

Une culture du débat exacerbée

La Suissesse Hanna Schwander, professeur de sociologie politique à l'université Humboldt de Berlin, considère avant tout la nature du débat politique comme un problème majeur: «Le durcissement de la culture du débat peut avoir des répercussions sur la politique réelle, comme on l'a vu lors des protestations des agriculteurs et de l'agression du vice-chancelier Robert Habeck. C'est inquiétant.»

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«Le chancelier a par exemple augmenté massivement le revenu des citoyens et les allocations familiales pour les bas salaires»
Hanna Schwander, professeur de sociologie politique
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Sur ce thème, elle estime toutefois qu'il s'agit plutôt d'un «sentiment de crise» que d'une crise réelle. «Certes, le gouvernement se dispute souvent et fait piètre figure avec leur programme, mais il travaille toutefois avec certains succès.»

Beaucoup de choses fonctionnent encore très bien, mais ne sont simplement pas assez remarquées. «Le chancelier a par exemple augmenté massivement le revenu des citoyens et les allocations familiales pour les bas salaires au début de l'année. Il a aussi mis en vigueur la loi sur le chauffage», explique Hanna Schwander.

Un «mélange dangereux»

Les nombreuses décisions prises creusent cependant un trou de plusieurs milliards dans le budget. Pour remettre le gouvernail sur les rails du succès, Alexander Marguier demande une politique orientée vers la croissance ainsi que des discussions sur les transferts sociaux excessifs. «Les gens ne comprennent pas que l'on économise sur les agriculteurs tout en investissant des millions dans des projets de développement comme la construction de pistes cyclables au Pérou.»

Tensions politiques internes, guerres en Ukraine et au Proche-Orient... Alexander Marguier parle d'un «mélange dangereux» qui paralyse l'Allemagne. «Je ne me souviens pas d'une situation où autant de crises se sont produites et où, en même temps, le gouvernement était aussi faible.»

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