Le président chinois à Paris
Pourquoi Xi Jinping ne lâchera pas Poutine en Ukraine

Le président chinois est arrivé ce dimanche à Paris pour une visite d'État de deux jours. Emmanuel Macron a convié Ursula von der Leyen à leur première rencontre. Objectif: convaincre la Chine de se distancer de la Russie. Ce qui est très peu probable.
Publié: 06.05.2024 à 07:26 heures
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Dernière mise à jour: 06.05.2024 à 08:05 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Vladimir Poutine a un atout maître dans sa manche: la Chine de Xi Jinping a besoin de la Russie. La plupart du temps, c’est l’inverse que l’on peut lire. La plupart des médias et des analystes insistent sur l’importance du soutien chinois au Kremlin, en particulier pour contourner les sanctions économiques et financières mises en place par l’Union européenne et ses partenaires, dont la Suisse et les États-Unis. Sauf que cette théorie oublie un élément crucial: la Chine a un immense besoin de ressources naturelles. Elle a aussi besoin, pour sécuriser certains de ses partenaires économiques africains, du soutien militaire de l’ex milice russe Wagner.

Autant dire qu’Emmanuel Macron aura, durant la visite d’État de Xi Jinping en France les 6 et 7 mai, la plus grande difficulté à obtenir de son interlocuteur une prise de distance avec le «Tsar» Poutine. Et cela, même si Xi Jinping a déclaré dans une tribune publiée par Le Figaro qu'il plaide pour «le respect mutuel de la souveraineté et de l'intégrité territoriale, la non-agression mutuelle, la non-ingérence mutuelle dans les affaires intérieures, l'égalité et le bénéfice mutuel, et la coexistence pacifique».

Pourquoi la Chine a besoin de la Russie? D’abord parce que celle-ci, avec son agression contre l’Ukraine, oblige les Occidentaux à dépenser énormément d’argent et de ressources pour aider les autorités de Kiev. Bien sûr, Pékin n’est guère à son aise avec la violation par l’armée russe d’une frontière internationale reconnue. L’argument chinois, pour justifier sa revendication sur Taïwan, consiste précisément à rappeler que la plupart des pays de la planète (sauf 12, dont le Vatican) reconnaissent l’île comme faisant partie intégrante de la Chine. Pékin sait bien que l’augmentation des dépenses d’armement en Europe et aux États-Unis peut, aussi, se retourner un jour contre la Chine. Mais pour l’heure, la réalité est que cette guerre met les Occidentaux en difficulté. Une défaite militaire de Poutine, avec tout ce que cela comporte de risques pour le pouvoir à Moscou, serait bien plus compliquée à gérer pour l’Empire (communiste) du milieu.

Un réservoir abondant de ressources

Pourquoi la Chine a besoin de la Russie? Ensuite, parce que celle-ci est un réservoir abondant de ressources naturelles: minières, gazières, pétrolières… On connaît la richesse du sous-sol russe, notamment dans les immenses étendues sibériennes proches de la Chine. Aujourd’hui, les possibilités d’exportations d’hydrocarbures russes vers l’Asie demeurent limitées. Seul le gazoduc «Force de Sibérie» , d’une longueur de plus de 2000 kilomètres, relie les deux pays depuis son inauguration en 2019. Il fonctionne en revanche à plein: plus de 30 milliards de mètres cubes de gaz russe seront fournis à la Chine en 2024. Un record! Citons aussi ce qui alimente depuis des siècles la peur de Moscou: l’appétit potentiel de la population chinoise (1,4 milliard d’habitants) pour les immensités de la Russie, peuplée de 144 millions d’habitants. Plus Poutine a besoin de Xi, plus celui-ci en profite.

Pourquoi la paix en Ukraine n’intéresse pas (encore) la Chine? La réponse est simple: parce que personne ne sait qui va/peut gagner cette guerre dont beaucoup d’observateurs craignent qu’elle dure longtemps. Pékin a dégainé très vite un plan de paix en douze points, présenté dès mars 2023, et destiné aussi à convaincre les pays du «Sud Global» de résister aux avances occidentales. Il s’intitule «Position de la Chine sur le règlement politique de la crise ukrainienne». Il énonce des principes comme «la sécurité d’un pays ne doit pas être recherchée aux dépens des autres» et «la sécurité d’une région ne doit pas être obtenue en renforçant ou en élargissant des blocs militaires», ce qui vise à contenir l’expansion de l’OTAN vers l’est. La Chine a nommé un émissaire pour l’Ukraine, Li Hui. Sera-t-il présent à la conférence de paix organisée par la Suisse les 15 et 16 juin? On ne le sait pas encore, même si l’intéressé a salué les efforts de paix helvétiques.

Le président chinois Xi Jinping est arrivé à Paris ce dimanche soir pour une visite d'État.
Photo: AFP
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Les pressions de Poutine

Pourquoi Poutine a des moyens de pression sur Xi Jinping? Parce que le président russe, comme il l’a montré en Ukraine, est prêt à tout, y compris le pire. Parce que Moscou paie cash les composants électroniques chinois indispensables à ses armements, ce qui satisfait le lobby militaro-industriel chinois. Et parce qu’avec la Corée du Nord, pays opaque par excellence, la Russie dispose d’un fournisseur qui peut cacher bien des choses, y compris des livraisons en provenance de Chine voisine. Autre argument de poids: la Russie est prête à expédier ses milices, parfois composées de recrues étrangères (Syriens, pays d'Asie centrale, Népalais...) pour sécuriser les zones d'investissements chinoises en Afrique. Le partage du fardeau est simple. Les entreprises chinoises s'installent et supplantent les Européens. Les milices russes les protègent.

La Russie paie tout plus cher

N’oublions pas non plus que les pays, comme la Chine, qui continuent de commercer avec la Russie et refusent d’appliquer les sanctions, profitent de ce contournement. Tout est facturé plus cher. La paix en Ukraine représenterait donc un manque à gagner pour des pans entiers de l’économie chinoise, au moment où celle-ci redoute la montée du protectionnisme américain et la volonté européenne de «découplage», qui implique de rapatrier à terme des usines sur le Vieux Continent.

Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen ne doivent donc pas se faire d’illusions. Xi Jinping demeure un allié objectif de Vladimir Poutine. À preuve: le président chinois se rendra, après Paris, dans deux pays européens qui font tout pour ménager la Russie: la Serbie et la Hongrie.

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