Le chef des libéraux allemands
«L'AfD n'est pas une UDC allemande»

Le 26 septembre, l'Allemagne décidera de son destin après Angela Merkel. Le chef du parti libéral (FDP) Christian Lindner, dont le parti tient le rôle d'arbitre, s'exprime sur les sujets brûlants et des relations avec la Suisse.
Publié: 21.08.2021 à 05:56 heures
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Dernière mise à jour: 21.08.2021 à 06:37 heures
Christian Dorer, Guido Felder, Jocelyn Daloz (adaptation)

Le parti libéral-démocrate allemand (FDP) est en pleine ascension. Après avoir été éjecté il y a huit ans du Bundestag, le Parlement allemand, il obtient actuellement jusqu'à 13% des voix dans les sondages et se place ainsi en quatrième position derrière la CDU/CSU (le parti conservateur d'Angela Merkel), le SPD (les sociaux-démocrates), les Verts et devant le parti de droite radicale Alternative für Deutschland (AfD). Le responsable de ce succès est en grande partie le chef du parti, Christian Lindner, qui veut empêcher l'Allemagne de dériver vers la gauche.

Le monde regarde avec horreur la prise du pouvoir des talibans en Afghanistan. Selon vous, qui est à blâmer pour cette débâcle?
Christian Lindner: C'est une défaite de l'Occident tout entier. Cela montre qu'une nation ne peut être construite par des forces externes si à l'interne, il n'y a pas de volonté.

Des troupes allemandes étaient également stationnées en Afghanistan. Était-ce une erreur?
Au début, après le 11 septembre, il s'agissait d'une mission antiterroriste, ce qui était juste et efficace. Par la suite, cependant, la mission a été élargie, au-delà d'objectifs réalistes. La sortie ordonnée a été manquée. Cela fait quatre ans que nous le soulignons au Bundestag. Malheureusement sans succès.

Christian Lindner est devenu président du parti libéral-démocrate allemand (FDP), à l'âge de 34 ans.
Photo: Philippe Rossier

Comment l'Afghanistan influencera-t-il les élections allemandes?
Il y a d'autres enjeux, bien plus grands que l'action allemande dans la crise afghane, qui préoccupent les gens: les restrictions de la liberté induites par la gestion de la pandémie du gouvernement fédéral ou la catastrophe des inondations. Tout peut se résumer, au fond, en un point: L'État allemand n'est pas aussi capable de réagir aujourd'hui qu'il devrait l'être. Ajoutez à cela la protection du climat, les préoccupations en matière d'emploi, de finances saines et des retraites. Le prochain gouvernement aura du pain sur la planche.

Qui va gagner les élections?
De nombreux signes montrent que le parti d'Angela Merkel, la CDU/CSU, restera la force la plus puissante, même si elle peine à se trouver une orientation après l'ère Merkel.

Le nouveau chancelier sera donc Armin Laschet.
Selon toute probabilité, oui.

Il y a quatre ans, vous avez renoncé à participer au gouvernement et avez déclaré: «Mieux vaut ne pas gouverner que mal gouverner.» Cela vous conviendrait-il maintenant?
La situation n'a pas changé. Angela Merkel et les Verts souhaitaient en 2017 une dérive vers la gauche. Nous avons empêché cela. Nous ne sommes pas plus ouverts à une dérive de gauche maintenant qu'alors. Au contraire, nous voulons à tout prix empêcher une majorité gauche-verte. L'Allemagne est déjà assez à gauche. Ce que nous recherchons, c'est une coalition centriste qui respecte à nouveau les valeurs de la liberté.

Le président du parti libéral-démocrate veut se mettre en travers d'une majorité de gauche.

Pourquoi excluez-vous de participer avec l'AfD à un éventuel gouvernement? Leurs électeurs ne sont pas tous des extrémistes de droite.
Vous devez faire la distinction entre le parti et les électeurs. L'Alternative für Deutschland est un parti profondément antilibéral, qui manque de substance et qui est divisé en son sein. Certains de ses électeurs votent pour eux pour témoigner de leur frustration à l'égard de certains déficits de la CDU, comme la politique d'immigration. Mais nos idées sont meilleures.

Pouvez-vous donner un exemple?
Nous souhaitons moins de bureaucratie dans l'immigration, l'emploi de professionnels qualifiés et nous ferons preuve de tolérance envers les différences culturelles. Mais en même temps, nous souhaitons plus de contrôle dans la protection humanitaire, des exigences claires pour l'intégration et l'expulsion cohérente des personnes sans droit de séjour.

Ne renforcez-vous pas l'AfD en l'excluant?
Non. Pour être clair, l'AfD n'est pas une UDC allemande. Même si j'observe bien des choses préoccupantes au sein de l'UDC, ce n'est pas la même chose. Vous ne pouvez pas laisser un parti à la tête d'un État dont il combat ouvertement les institutions et les valeurs.

Christian Lindner estime que les relations de la Suisse avec l'UE sont importantes.

Les Verts, qui progressent de manière incroyable, sont un phénomène. Mais des polémiques sans fin agitent le débat allemand, notamment autour du CV édulcoré de leur candidate au poste de chancelier, Annalena Baerbock, et d'accusations de plagiat. Comment a-t-elle pu se planter à ce point?

Les Verts ont longtemps été l'écran de projection d'une promesse abstraite de renouveau. Ils ont profité de la faiblesse du parti social-démocrate. Au début, certaines personnes ont associé la question de la protection du climat exclusivement aux Verts. C'est terminé, à présent. La protection du climat est si importante que les libéraux doivent briser cette association avec la pensée de gauche et la pensée verte. Les Verts veulent faire de l'Allemagne l'apôtre mondial de la morale. Mais nous devons plutôt devenir le champion du monde de la technologie.

Comment voulez-vous sauver le climat?
Cela ne fonctionnera pas avec des interdictions et des appels moraux, mais uniquement grâce aux technologies propres, à l'innovation de pointe, à l'hydrogène, aux parcs éoliens au large des côtes, aux carburants synthétiques, à l'élevage d'algues, à la reforestation, à la production et au stockage décentralisés de l'énergie contrôlés par l'intelligence artificielle. Et bien plus encore.

Si le FDP participe au gouvernement, vous deviendrez ministre. A quel poste aspirez-vous?
Nous pourrions apporter les meilleures contributions au ministère des finances. Avec nous, il n'y aura pas d'augmentation d'impôts, ce que souhaitent tous les partis de gauche et que la CDU n'exclut pas clairement. Et avec nous, il n'y aura pas d'assouplissement du frein à l'endettement, ce que tous les partis de gauche souhaitent également et que la CSU n'exclut pas clairement.

Quelle serait l'importance de la Suisse pour le ministre Christian Lindner?
Après l'échec de l'accord-cadre, il ne faut pas qu'il y ait une rupture des relations entre la Suisse et l'UE. Nous devons tout faire pour que la Suisse ne s'isole pas sur ce continent. Nous pouvons certainement jouer le rôle de bâtisseur de ponts ici. Personnellement, je me sens proche de la Suisse en tant que pays épris de liberté.

À l'inverse, qu'attendez-vous de la Suisse?
La Suisse doit se demander comment elle veut définir sa relation avec l'UE. Je ne veux pas imposer ici un quelconque conseil aux politiciens suisses. Toutefois, une dynamisation des accords bilatéraux devrait être réalisable. Les systèmes juridiques ne doivent pas s'effondrer.

Vous maintenez un contact étroit avec le PLR suisse. Avez-vous déjà rencontré le futur président, Thierry Burkart?
Oui, je connais beaucoup de confrères suisses. J'ai récemment rencontré les conseillers fédéraux du PLR à Ascona, et aujourd'hui je me suis entretenu avec Andrea Caroni. Je n'ai toutefois pas encore eu d'échange proche avec Thierry. Mais bientôt.

Que recommandez-vous au PLR suisse: comment peut-il mettre fin à la guerre interne qui le ronge?
Le PLR suisse est un parti traditionnel, établi, avec un palmarès de victoire important et une part de voix plus élevée que la nôtre. Il serait présomptueux de donner des conseils. A mon avis, il ne faut pas surestimer les «guerres internes». Après le «non» du peuple à une taxe sur le CO2 plus élevée, le PLR se concentre encore plus sur les instruments du marché pour la protection du climat. À mon avis, c'est la bonne façon d'agir efficacement. C'est précisément dans ce domaine que la Suisse a des atouts: En raison du manque de ressources naturelles, elle a toujours dû s'appuyer sur l'innovation, et elle l'a toujours fait avec succès.

En septembre, la chancelière Angela Merkel quittera ses fonctions. Quel bilan tirez-vous de son leadership?
Je lui rends hommage pour avoir mis ses indéniables dons intellectuels et son énergie vitale au service de la cause publique.

Ça semble un peu sarcastique.
Non. Mais les historiens devront bien tirer un bilan objectif: malheureusement, l'Allemagne aura un énorme retard à rattraper dans les domaines de la numérisation, de l'éducation, de la compétitivité de l'économie, de l'adéquation des systèmes sociaux aux petits-enfants, de la protection efficace du climat et des fonctions essentielles de l'État telles que les forces armées.

Angela Merkel a apporté la stabilité à l'UE.
Je ne suis pas sûr que l'UE soit beaucoup plus stable après 16 ans de Merkel qu'avant, quand je regarde la ligne de tension entre l'Est et l'Ouest, le départ du Royaume-Uni et les conflits non résolus dans l'Union économique et monétaire. Nous avons beaucoup à faire à cet égard également.

Angela Merkel manquera à de nombreux Suisses. Comment ça se passe en Allemagne?
Il est clair qu'en 16 ans, on s'habitue à une personne, même à la tête d'un État voisin. Pour l'Allemagne, cependant, je considère que l'heure est venue pour un réveil politique.

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