Le chef des services industriels suisses
«De nombreux Suisses pourraient se retrouver sans chauffage l'hiver prochain»

À l'heure des sanctions, notre dépendance aux énergies russes se fait particulièrement ressentir. Ronny Kaufmann, CEO de l'alliance des services municipaux Swisspower, réclame davantage de biogaz. Il en profite pour tacler les pompes à chaleur. Interview.
Publié: 28.03.2022 à 06:10 heures
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Dernière mise à jour: 28.03.2022 à 09:05 heures
Danny Schlumpf

Un ménage suisse sur cinq se chauffe au gaz. Or, environ 50% de celui-ci provient de Russie. Que pensez-vous de cette situation?
Ronny Kaufmann: Il est clair, depuis des années, que cette dépendance est un problème. Cela se retourne contre nous, désormais. Nous devrons aller chercher du gaz dans d’autres pays, et remplacer le gaz fossile par du gaz renouvelable, mais cela ne se fera pas du jour au lendemain. Nous ne sortirons pas si vite de la dépendance aux énergies fossiles.

Vladimir Poutine ne veut dorénavant livrer du gaz plus que contre des roubles. Que se passera-t-il si l’Europe n’accepte pas cette condition, et que les livraisons russes prennent fin?
Un arrêt brutal de ce genre entraînerait sans aucun doute des perturbations dans l’approvisionnement, mais seulement l’hiver prochain. De nombreux Suisses se retrouveraient alors sans chauffage en plein hiver. L’Europe a déjà réagi, et a obtenu des États-Unis une garantie de livraison de gaz liquide. Cela garantira que les réserves de gaz soient remplies à 90% au début de l’hiver. A mon avis, le risque de pénurie est écarté pour le moment.

La Suisse compte 300’000 installations de chauffages au gaz. Le PS et les Verts veulent les remplacer le plus rapidement possible. De plus, les pompes à chaleur sont en plein essor. Est-ce bon signe?
Oui, cela va dans le bon sens. Nous devons prendre nos distances autant que possible avec les gaz fossiles. Mais passer à un système purement électrique n’est pas non plus une bonne idée. Les pompes à chaleur ont besoin d’électricité. Et c’est précisément ce dont nous manquons déjà en hiver. Il nous faut alors du courant supplémentaire pour les faire tourner, et celui-ci est produit dans des centrales à charbon en Allemagne ou en Pologne. Ce qui me fait dire qu’une stratégie unilatérale qui ne mise que sur l’électricité n’est pas très prometteuse. Si nous prenons cette voie, nous allons tout simplement transformer la crise du gaz en une crise de l’électricité. Le scénario optimal, ce serait de renoncer au gaz fossile et de produire nous-mêmes davantage de gaz renouvelables en Suisse!

Le patron de Swisspower, Ronny Kaufmann, critique la dépendance de la Suisse à l'énergie russe.
Photo: Béatrice Devènes
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La Suisse, terre de gaz?
La Suisse ne compte que quelques dizaines d’installations de biogaz qui injectent leur gaz dans le réseau. C’est bien trop peu. Mais seules les installations qui produisent de l’électricité reçoivent des subventions de la Confédération. Nous devons changer cela de toute urgence.

Mais ce n’est pas le fumier suisse qui remplacera le gaz russe…
Exactement. C’est pourquoi nous avons besoin d’installations «power-to-gas» supplémentaires, qui transforment l’électricité en gaz. Les problèmes d’approvisionnement électrique ne se posent qu’en hiver. Nous devons utiliser les excédents d’électricité des mois d’été et les transformer en gaz. Nous n’en sommes qu’au début. En avril, la première installation industrielle de ce genre, sera mise en service au sein de l’usine Swisspower, chez Limeco à Dietikon, dans le canton de Zurich.

Cela ne résoudra pas le problème d’approvisionnement actuel.
C’est vrai, mais malgré la situation actuelle, nous ne devons pas miser sur des solutions hâtives qui nous coûteraient trop cher au final. Nous devons miser sur le gaz renouvelable et développer les réseaux de chauffage urbain. Les villes et les solutions modernes de quartier jouent un rôle central à cet égard.

Personne n’empêche les villes de construire de tels réseaux. Les services municipaux auraient pu investir depuis longtemps dans des exploitations de biogaz et des installations «power-to-gas». Pourquoi ne l’ont-elles pas fait?
Parce qu’ils doivent tout payer eux-mêmes! Il existe des subventions pour quasiment tous les types d’énergies vertes, sauf pour le gaz renouvelable et les réseaux de chauffage urbain. La loi CO₂ rejetée en juin dernier prévoyait justement des subventions d’investissement pour les installations qui injectent du biogaz dans le réseau. Dans la version révisée, elles ont disparu. En revanche, les installations «power-to-gas» doivent continuer à payer des frais de réseau pour l’électricité qu’elles transforment en gaz.

Pourquoi ne pas importer plus de gaz renouvelable de l’étranger?
C’est effectivement ce que nous devons faire… Mais la demande augmente au niveau mondial. Cela signifie que les prix vont augmenter eux aussi. À cela s’ajoute le fait qu’en cas d’importation par gazoduc, une taxe sur le CO₂ est prélevée sur le gaz renouvelable. Cette taxe est un autre frein. Ce que nous devons surtout faire, c’est stimuler la production nationale. L’argent est disponible. Le PS et les Verts veulent dépenser plus de trois milliards de francs pour de nouvelles pompes à chaleur. Nous pourrions construire un nombre impressionnant d’installations de biogaz et de «power-to-gas».

(Adaptation par Alexandre Cudré)

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