La planète broie du noir
Les profits pétroliers continuent de pleuvoir sur les comptes de l'UBS

La banque se veut verte et durable, mais elle ne montre aucune réticence à accepter des pétrodollars. Le Proche-Orient devient un point épineux pour les banques suisses.
Publié: 05.02.2023 à 13:01 heures
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Dernière mise à jour: 05.02.2023 à 13:02 heures
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Beat Schmid

Rien qu’entre les mois d'octobre et de décembre, l’UBS a encaissé onze milliards de dollars en provenance d’Europe, du Moyen-Orient et de l’Afrique (EMEA). Certes, la banque ne dit pas précisément de quel pays provient quelle somme.

Mais le patron d’UBS Ralph Hamers a lui-même glissé un indice à ce sujet lors de la conférence de presse annuelle de cette semaine. La forte croissance de la région EMEA a été soutenue «par des flux financiers importants en provenance du Proche-Orient», a-t-il expliqué. Et en réponse à une question d’un analyste, il a précisé: «Et oui, au quatrième trimestre, nous avons traité des flux financiers en provenance de là-bas. Il s’agit de clients privés très fortunés.» Une part considérable de leurs affaires semblent donc venir tout droit du Proche-Orient.

Mais qu'entend-on par fortuné dans ce milieu? On estime que ces montants peuvent aller de plusieurs centaines de millions à un milliard de dollars. Des fonds de familles très riches donc, qui demandent à l’UBS des possibilités de placement. Interrogée à ce sujet, la banque ne veut pas donner d’informations plus précises. Mais on peut en déduire – et les collaborateurs de l'institution ne le nient pas – qu’il s’agit aussi de bénéfices pétroliers florissants.

Ralph Hamers, directeur général de l'UBS explique que de grandes fortunes du Proche-Orient affluent vers la banque.
Photo: Keystone
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La compagnie pétrolière saoudienne Aramco a distribué plus de 18 milliards de dollars de dividendes au cours d'un trimestre.
Photo: Bloomberg via Getty Images

Les matières premières ont rapporté gros

Les comptes annuels des grandes compagnies pétrolières occidentales montrent à quel point les matières premières ont rapporté gros l’année dernière. Ce jeudi, Shell a annoncé un bénéfice de 41 milliards de dollars. ExxonMobil et Chevron ont fait respectivement état de bénéfices de 55,7 milliards et 36,5 milliards de dollars.

Ce sont des chiffres records. Shell, par exemple, a encaissé l’année dernière dix milliards de dollars de plus qu’en 2008 – ce qui était l’année record jusqu’à présent. Le géant saoudien de l’énergie Aramco a enregistré un bénéfice net de l’équivalent de 42 milliards de dollars pour le seul troisième trimestre 2022. Le groupe verse chaque trimestre plus de 18 milliards de dollars de dividendes à ses actionnaires et, avec une valeur boursière de près de 2000 milliards de dollars, il se place en deuxième position des entreprises avec le plus de valeur au monde, juste derrière Apple.

Un retour fracassant

Où la richesse se crée, les banques se trouvent. Que ce soit en Chine il y a quelques années, dans la Silicon Valley et, bien sûr, en Russie. Il n'est donc pas étonnant que le Proche-Orient fasse aujourd'hui un retour en force, redevenant l’un des hotspots les plus importants pour les banques suisses.

La guerre en Ukraine et les sanctions ont bouleversé les marchés de l'énergie.
Photo: AFP

«Que nous fassions des affaires bancaires dans la région n’est pas nouveau, a asséné Hamers lors de la conférence de cette semaine. Nous développons nos équipes. Ces deux dernières années, nous avons ouvert un bureau au Qatar et y avons recruté de nouveaux collaborateurs.»

La banque propose désormais une large gamme de services bancaires dans la région, outre la gestion de fortune pour les clients privés, la gestion d’actifs ou la banque d’investissement.

Mais l’UBS n’est pas seule sur le marché. D’autres banques suisses mettent aussi le pied à l’étrier au Moyen-Orient. Julius Baer a ouvert son troisième bureau dans la région du Golfe juste avant le début de la Coupe du monde de football au Qatar. Credit Suisse, dont les actionnaires arabes détiennent 20% des parts, est également très actif. La Saudi National Bank, contrôlée par le prince héritier Mohammed bin Salman, en possède quant à elle 10%.

Des interrogations morales

Mais des questions délicates se posent. L’UBS et d’autres banques suisses ont-elles profité de la guerre en Ukraine et des sanctions qui ont entraîné une hausse massive des prix? Une banque peut-elle accepter sans hésiter des dollars amassés par la vente de pétrole ou de gaz naturel nuisible au climat? Et comment l’activité liée à la manne pétrolière s’inscrit-elle dans l’agenda du développement durable?

Il y a 20 ans, les directeurs de banque confrontés à ces demandes auraient simplement haussé les épaules. Mais aujourd’hui, c’est différent. La question de la morale n’est plus seulement soulevée par des ONG qui critiquent la place financière ou par les militants pour le climat. Elle préoccupe un bien plus large panel. Les clients, les investisseurs, les employés de banque et les représentants financiers se sentent de plus en plus concernés et demandent eux aussi des comptes.

Depuis quelques années, l’UBS, comme de nombreuses autres banques, se veut résolument verte et durable. Elle a par exemple rejoint le GFANZ, une alliance mondiale d’institutions financières qui se sont engagées à réduire les émissions de CO₂ à zéro net d’ici à 2050.

Et ce, à tous les niveaux: c’est-à-dire non seulement en ce qui concerne leur propre consommation d’énergie, mais aussi en ce qui concerne leurs portefeuilles clients et leurs opérations de crédit. L’UBS s’est fixé pour objectif de réduire de 71% les émissions dites financées par les crédits accordés aux entreprises du secteur des combustibles fossiles d’ici à 2030 déjà.

Pétrodollars florissants

Mais qu’en est-il des pétrodollars florissants que les riches Arabes apportent à l’UBS? Interrogé à ce sujet, le porte-parole ne souhaite pas s’exprimer. Mais il est évident que la banque n’a aucun souci à se faire tant que l’argent est gagné légalement et imposé correctement.

Revenons à la conférence annuelle et à Ralph Hamers. Dans sa présentation, le chef de l’UBS a fait référence au fait que la banque a reçu quatre milliards de dollars au dernier trimestre, que les clients ont investis dans des produits axés sur la durabilité. Et il est possible que les milliardaires arabes du pétrole investissent leurs bénéfices exorbitants dans des fonds de placement pour les énergies renouvelables.

S’ils le font, ce ne sera probablement qu’une contradiction parmi tant d’autres.

*Le journaliste Beat Schmid écrit dans Blick sur des sujets financiers. Il est l’éditeur du média en ligne tippinpoint.ch.

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