Insoumis en chef
Sans Mélenchon, la gauche française patine

Le leader de la gauche française est absent des médias et des débats depuis bientôt un mois, préférant voyager en Amérique du Sud, son continent de coeur. Or sans lui, ses troupes sont à la peine. Difficile, voire impossible, de le remplacer.
Publié: 29.07.2022 à 13:52 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

On le croirait presque en campagne pour une élection en Amérique latine. Troisième homme du scrutin présidentiel en France le 10 avril, arrivé juste derrière Marine Le Pen avec 22% des suffrages, Jean-Luc Mélenchon boude ces jours-ci la France et ses compagnons de lutte de la Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale (NUPES), seconde force parlementaire du pays… en théorie.

En théorie, oui, car les quelque 140 députés apparentés NUPES (sur 577 sièges et face à une majorité présidentielle d’environ 245 députés) ne font pas toujours front commun. Querelles de personnes, querelles d’amendements, mauvaise coordination au moment des votes: le flottement est réel, augmenté par plusieurs controverses comme la déclaration de la cheffe du groupe France Insoumise, Mathilde Panot, au moment de la commémoration de la déportation des Juifs à Paris en juillet 1942, et le trouble crée par les accusations de violences sexuelles portées contre l’un des lieutenants les plus en vue de Mélenchon au Parlement, le président de la Commission des finances, Eric Coquerel.

Pourquoi Mélenchon est irremplaçable

Irremplaçable, Mélenchon? Pas faux. Car à 70 ans, et légitimé par les 7,7 millions de voix recueillies au premier tour de la présidentielle (420'000 voix d’écart seulement avec Marine Le Pen, la candidate nationale-populiste qui a ensuite perdu au second tour contre Emmanuel Macron), le fondateur de la France Insoumise, qui a fait ses classes dans la mouvance trotskiste, n’a ni rival, ni équivalent à gauche du paysage politique.

En visite au Mexique depuis la mi-juillet, Jean-Luc Mélenchon a choisi de laisser ses lieutenants occuper le terrain pour la gauche française. Un calcul qui, pour l'heure, ne s'est pas révélé payant face au gouvernement d'Emmanuel Macron et à la droite.
Photo: AFP

Côté adversaires ou concurrents, personne n’a sa capacité à enflammer les foules, à saisir le bon moment politique et à allier totale démagogie budgétaire (son programme consiste, en gros, à demander à l’État déjà surendetté de dépenser encore plus) et réelle crédibilité intellectuelle. Ni l’élu populaire de Picardie, François Ruffin, ni le jeune élu nordiste Adrien Quatennens, ni la présidente du groupe parlementaire, Mathilde Panot, ne jouent dans la même ligue.

Mélenchon reste le patron à gauche. Il est celui qui a réussi à imposer une alliance aux socialistes, aux écologistes et aux communistes. Il est l’homme que les médias souhaitent avoir sur leur plateau pour faire le spectacle, comme cela fut le cas lors de son débat en campagne présidentielle face à Eric Zemmour.

Alternance de colères et d’expérience

Du côté politique, même réalité. Jean-Luc Mélenchon a raté son pari de «se faire élire Premier ministre» en obtenant à l’Assemblée nationale une majorité absolue de gauche. Mais en décidant de ne pas se représenter pour la députation dans son fief du vieux port de Marseille, cet impitoyable manœuvrier a créé un vide difficile à remplir.

Ses harangues de tribun manquent dans l’hémicycle. Sa capacité à alterner les colères les plus redoutables et les compromis tactiques font défaut à la gauche. Son expérience manque lorsqu’il s’agit de faire régner l’ordre au sein de son parti où beaucoup de nouveaux élus préfèrent les grandes déclarations au fastidieux travail parlementaire. Bref, le chef s’est éloigné. Et comme personne ne sait le remplacer, la machine tourne à vide.

Imprévisible Mélenchon

Irremplaçable, mais surtout imprévisible. Le plus dur à gérer, sans doute, pour la gauche française confrontée à un pouvoir exécutif de plus en plus affairé à obtenir le soutien de la droite – ce qui a bien fonctionné cette semaine pour le vote en première lecture du projet de loi de finances – est l’absence de plan mélenchoniste. Au Honduras, puis au Mexique, ce parfait hispanophone nostalgique des révolutions d’inspiration castriste a préféré se positionner comme analyste géopolitique, critiquant l’hyperpuissance voisine: les Etats-Unis. Sur la France? Rien. Sur Macron? Rien. Sur Le Pen? Rien.

Ses entretiens avec le président mexicain, Andres Manuel Lopez Obrador, ressemblaient à ceux que pourrait avoir un ancien chef de l’État sur les affaires du monde. «Nos échanges m’ont fait beaucoup réfléchir. Il m’a appelé à être persévérant et à ne renoncer jamais à rien, […] des paroles qui m’ont donné du courage», a commenté l’ex-député français sur Twitter. Du courage, parce que l’état de son pays le décourage?

La crise plutôt que le compromis

Mélenchon va revenir dans la mêlée politique, bien sûr. Il ne ratera pas la rentrée de septembre. Il se prépare au prochain combat. Mais le calendrier est redoutable. Pas d’élections générales prévues avant les élections européennes de 2024, sauf dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, qui en a le pouvoir. Pas de système, en France, de «shadow cabinet» (gouvernement de l’ombre) comme au Royaume-uni où les futurs ministres se préparent à l’alternance.

Mélenchon a, en réalité, besoin d’une crise majeure pour recommencer à exister. Ou bien d’un moment politique inédit, comme un référendum, lui qui a toujours défendu le recours à la démocratie directe. Le pire scénario, pour ce septuagénaire recalé trois fois au premier tour de la présidentielle (2012, 2017 et 2022), est celui de l’apaisement politique et du compromis. Alors que les électeurs français, en élisant une Assemblée nationale éclatée, ont justement voté pour ce nouveau mode de fonctionnement politique au pays de la centralisation ultime et du président-roi.

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