Guerre au Haut-Karabakh
L'Azerbaïdjan, une dictature gazière dont l'Europe a besoin face à Moscou

L'heure n'est plus aux pourparlers de paix dans la région du Haut Karabakh, que se disputent depuis trente ans l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Dans l'orbite de la Russie, les Arméniens paient le prix de la guerre du gaz déclenchée par Vladimir Poutine.
Publié: 13.09.2022 à 13:20 heures
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Dernière mise à jour: 13.09.2022 à 14:25 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Le bonheur des uns fait souvent le malheur des autres. Cette phrase, hélas, vaut aujourd’hui pour les Arméniens, confrontés depuis plusieurs jours à une nouvelle reprise des bombardements de l’Azerbaïdjan dans la région disputée du Nagorno-Karabakh (ou Haut-Karabakh). L’Arménie, protégée par la Russie, avait déjà dû abandonner en 2020 une partie de ce territoire conquis par ses troupes au début des années 1990, lors de la désintégration de l’ex-URSS, alors qu’il appartenait officiellement à l’Azerbaïdjan voisin.

Il y a deux ans, le rapport de force s’était en effet inversé. Soutenu militairement par la Turquie qui avait équipé son armée de drones, l’Azerbaïdjan avait repris le dessus, jusqu’à la signature d’un cessez-le-feu en novembre 2020, garanti ensuite par le déploiement d’environ 2000 Casques bleus russes. Des pourparlers de paix avaient ensuite eu lieu à Bruxelles, sous l'égide de l'Union européenne. La dernière session s'étaient achevée sans résultat fin août.

L’Arménie, enclavée et désavantagée

Le problème, pour l’Arménie enclavée, est que depuis deux ans, le rapport de forces s’est encore plus dégradé en faveur de son adversaire, devenu l’un des fournisseurs de gaz les plus courtisés par l’Union européenne. Le fait que les canons azerbaïdjanais aient repris leur pilonnage n’est donc pas surprenant.

Les bombardements azerbaïdjanais, qui ont repris dans la région du Haut Karabakh depuis le dimanche 11 septembre, ne sont pas surprenants. Soutenus par la Turquie, l'Azerbaïdjan sait pouvoir profiter de la passivité de l'Union européenne, qui dépend de son gaz.
Photo: DUKAS

Fort de ses gisements de gaz et de pétrole de la mer Caspienne, exploités entre autres par le géant Socar, qui possède un très profitable réseau de stations-service en Suisse, l’Azerbaïdjan a aujourd’hui un triple avantage: la Turquie le soutient sans faille, la Russie est en difficulté pour faire appliquer le cessez-le-feu après son agression contre l’Ukraine, et l’Union européenne a un besoin crucial de ses hydrocarbures, acheminés par un gazoduc relié à l’Italie via l’Adriatique.

Un renversement total

Le renversement est total. Hier, l’Arménie pouvait compter sur le soutien de son influente diaspora, longtemps représentée à Genève par son plus célèbre ambassadeur, le chanteur franco arménien Charles Aznavour, décédé le 1er octobre 2018. Les Arméniens disposaient en plus d’une arme morale massive: la mémoire du génocide perpétré contre eux par les Turcs en 1915, qui fit entre 1,2 et 1,5 million de morts.

Problème: les Européens doivent trouver, pour affronter l’hiver 2022, des alternatives au gaz russe dont Vladimir Poutine a interrompu le flot. Or l’Azerbaïdjan est un fournisseur idéal. Il est géographiquement proche. Les infrastructures existent. Un accord a donc été signé en juillet entre Bruxelles et Bakou, qui prévoit une hausse de 30% des exportations gazières en provenance de la Caspienne. De quoi réjouir la famille du dictateur Ilham Aliev, qui possède des propriétés en Suisse, ainsi que le géant pétrolier Socar, dont les bénéfices ont bondi de 53% en 2021!

Un protecteur russe trop occupé en Ukraine

Le pire, pour les 2,9 millions d’Arméniens, est que leur protecteur russe est désormais bien trop occupé en Ukraine pour faire régner la paix dans la région. La Turquie, soutien de l’Azerbaïdjan, pousse en revanche ses pions partout, en misant sur la passivité de l’OTAN, l’alliance militaire occidentale dont elle fait partie. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, est l’intermédiaire obligé pour les exportations de blé ukrainien, puisque son pays contrôle les détroits de la mer Noire.

La Turquie n’applique pas les sanctions économiques de l’Union européenne contre la Russie. Ses marchands d’armes, surtout le constructeur de drones Bayraktar, sont courtisés par les Ukrainiens. Faites le calcul: l’argent du gaz qui coule à flots et l’appui militaire turc sans limites du côté azéri; le soutien russe fragilisé et l’indifférence européenne du côté arménien. La donne stratégique est sans appel. Le Haut-Karabakh est en passe de devenir un «ricochet» malencontreux de la guerre en Ukraine.

Que valent les mots face aux carnets de chèques?

Bien sûr les Nations Unies, qui tiennent la semaine prochaine leur assemblée générale à annuelle à New York, vont s'efforcer de calmer le jeu. Les Européens, de leur côté, vont évidemment plaider pour l’arrêt des combats. Ce mercredi à Strasbourg, devant le Parlement européen, la présidente de la Commission, Ursula Von der Leyen, en parlera même peut-être dans son «discours sur l’État de l’Union».

Mais que valent les mots face aux carnets de chèques et au gaz qui coule vers le Vieux Continent? «Bien que je sois français avant tout, mon cœur et mon sang sont aussi arméniens, chantait Charles Aznavour, résident de longue date sur les bords du Léman. Sauf que Vladimir Poutine a rendu cette équation personnelle de plus en plus intenable.

La diaspora arménienne en Europe va, comme tout le monde, subir cet hiver le chantage au chauffage du maître du Kremlin. Dans le conflit du Karabakh, l’Arménie est aujourd’hui seule. De plus en plus seule.

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