Démission de Fiona Scott-Morton
Ursula von der Leyen l'Européenne prend-elle ses ordres à Washington?

La nouvelle économiste en cheffe de la Commission européenne chargée de la concurrence devait être... américaine. La France a mené la charge en accusant, indirectement, sa présidente Ursula von der Leyen, pourtant choisie par Emmanuel Macron.
Publié: 19.07.2023 à 09:41 heures
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Dernière mise à jour: 19.07.2023 à 12:54 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

La révolte française a mis le feu à la Commission européenne. L’incendie couvait depuis des jours à propos d’une nomination baroque et du risque de voir l’exécutif communautaire de plus en plus inféodé aux États-Unis, dans une période de crises où les Européens devraient d’abord défendre leurs intérêts économiques et stratégiques.

Fin de partie ce mercredi matin 19 juillet, avec la décision de l’universitaire américaine Fiona Scott-Morton de renoncer à intégrer l’exécutif européen, comme économiste en cheffe de sa direction générale chargée de la concurrence.

Le collège des 27 commissaires européens devait examiner son embauche aujourd’hui, après une série de mises en accusation de cette économiste et juriste par les médias français et par le parlement européen, suivis par plusieurs commissaires. L’affaire «Scott Morton» est donc close. Exit la possibilité d’intégrer, dans cette direction éminemment stratégique, un expert non européen aux qualifications reconnues par ses pairs.

L’enjeu? Le marché intérieur européen

Une affaire de personne? Bien plus que ça! L’affaire «Scott Morton» ne concernait pas que le poste d’économiste en cheffe de la Direction générale de la Concurrence de la commission, chargée – entre autres – de protéger le marché intérieur de l’UE et d’infliger des pénalités à tous les acteurs économiques qui n’en respectent pas les règles.

L'économiste américaine Fiona Scott Morton, 54 ans, est accusée par ses détracteurs d'être une menace potentielle si elle intégère comme prévu la direction générale de la Concurrence de la Commission européenne.
Photo: Richard Werly
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Elle révèle combien, au sein cette machine à produire des normes qu’est la Commission européenne, la défiance s’est installée tandis que la question des compétences devient toujours plus criante, à l’heure où les géants de l’Internet embauchent des légions de juristes pour contourner les règles de l’UE.

La Suisse, dont les grandes entreprises ont cruellement besoin d’accéder à ce marché de 450 millions de consommateurs, sait que celui-ci est le levier le plus puissant de l’Union sur la scène internationale vis-à-vis des autres géants commerciaux que sont les États-Unis et la Chine. Le défendre est donc essentiel.

Mais comment le faire? À qui se fier? Comment être le plus performant possible dans cette guerre mondiale quand on n’a pas recours, comme c’est le cas pour les pays, à des services de renseignement et à une machine étatique et judiciaire nationale, dont disposent des puissances comme les États-Unis ou la Chine?

Pourquoi une économiste en cheffe, dans une direction générale qui compte des centaines de fonctionnaires européens réputés parmi les plus compétents et les plus incorruptibles de Bruxelles, est-elle devenue l’objet d’une affaire d’État en quelques jours?

La réponse est simple. Cette nouvelle venue, embauchée par la commissaire européenne danoise Margreth Vestager chargée d’adapter l’Europe à l’ère numérique, était une universitaire américaine de 54 ans. Pire: elle avait travaillé, dans le passé, pour la division antitrust du Département de la justice sous la présidence Obama, puis pour des multinationales comme Apple, Amazon ou le laboratoire pharmaceutique Pfizer, au premier plan médiatique depuis la production massive de vaccins anti Covid pour laquelle la Commission européenne a déboursé 71 milliards d’euros (tous labos confondus).

Une Américaine suspecte

En clair: cette Américaine, il est vrai nommée à la va-vite et en plein été, était suspecte aux yeux de ses détracteurs. Suspecte de ne pas être simplement une économiste, capable de conseiller l’UE sur les méandres de la justice antitrust américaine. Suspecte d’être encore liée aux géants qui l’ont employé comme consultante dans le passé. Suspecte d’avoir bénéficié d’appuis très bien placés au sommet de la commission pour passer devant tous les autres candidats européens, en contournant au passage certaines procédures. Suspecte donc, d’être un «sous-marin» américain potentiel au cœur de la machine bruxelloise. Le signal d’alarme est venu de France, puis il a essaimé. Pourquoi?

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L’affaire «Scott-Morton» a d’abord démarré comme une alerte sur le non-respect de procédures d’embauche par la Commission européenne. Avant de déclencher, en quelques jours, un incendie politique, où les médias se sont lancés dans un tir de barrage contre cette économiste accusée, ni plus ni moins, d’être une «traître» potentielle, et d’être la preuve de dérives condamnables de la part de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen (54 ans).

Von der Leyen dans le viseur

Pourtant suggérée en 2019 par Emmanuel Macron, l’ancienne ministre de la Défense allemande est soupçonnée d’avoir, au fil de la crise du Covid et depuis le début de la guerre en Ukraine, fait basculer l’exécutif communautaire dans l’orbite américaine.

On lui reproche l’opacité de ses réponses aux accusations de «conflits d’intérêts» dans les contrats de vaccins passés avec le tandem Americano allemand Pfizer-BioNtech, auquel son mari a dans le passé été associé. On la soupçonne, à travers son soutien à l’appui militaire et civil européen à l’Ukraine, de regarder du côté de l’OTAN, l’Alliance atlantique dont elle pourrait prendre la tête en 2024, après les élections européennes qui se tiendront du 6 au 9 juin. On condamne, au sein de la commission, sa centralisation des décisions présumées excessives, son obsession de la communication et son alignement sur Washington.

Logique, dans ces conditions, que l’économiste américaine ait renoncé à cette embauche. La pression était devenue intenable. Sauf que personne, durant ces jours de folie, n’a posé, du côté des «anti Scott-Morton» la question des compétences indispensables, des divisions entre pays membres (et experts originaires de ce pays) qui ruinent certaines décisions trop contraires aux intérêts de l’un ou l’autre.

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Mardi, Blick avait recueilli l’avis d’un expert incontestable de ces questions. Sa réponse? «Je salue la nomination de Fiona Scott-Morton qui privilégie la connaissance et le savoir-faire, basée sur une expérience incomparable, acquise dans le secteur privé, puis dans l’administration. Les autorités de la concurrence américaines sont de loin les plus sophistiquées, opérant dans un des plus grands marchés intérieurs. C’est joué astucieusement», a-t-il indiqué.

«L’intelligence ne connaît pas de frontières et souvent peut venir à la rescousse du Vieux Continent. Un peu sortir du Moyen Âge ne devrait pas créer tant d’effroi. La nouvelle économiste en chef sera un rouage clé et apte à comprendre les grands changements et défis du système économique de l’UE et de sa surveillance. Les conflits d’intérêt, il y en aura, pourront être maîtrisés. Enfin, l’économiste en chef de la DG Concurrence est une voix essentielle dans la mécanique communautaire, mais certainement pas la seule. Les 27 États membres jouent, eux aussi, un rôle important dans le processus décisionnel.»

Le secrétariat général du Conseil de l’UE, l’instance qui représente les États-membres, est pour mémoire dirigé par une ex-avocate Franco-suisse, Thérèse Blanchet.

Emmanuel Macron était «dubitatif»

Emmanuel Macron avait avoué mardi, en plein sommet UE-Amérique Latine à Bruxelles, être «dubitatif». Il a alors posé la bonne question sur la réciprocité dans ce type de nominations. En clair: pourquoi embaucher une Américaine à la commission si les États-Unis n’embauchent jamais d’Européens? Bonne réponse.

Mais le procès «Scott Morton» n’était malheureusement pas basé sur des compétences. Il témoigne d’une profonde défiance, en 2023, envers le fonctionnement de la Commission européenne supposée incarner l’intérêt général. Défiance française dans ce cas précis. Défiance d’autres pays, comme la Pologne ou la Hongrie dans le cas du respect de l’État de droit.

Or comment bâtir la confiance sur une telle accumulation de défiances? La réponse tient dans l’interrogation. L’Union européenne a peut-être fait respecter à la lettre ses procédures internes cette semaine, avec la démission de cette candidate. Mais elle est aujourd’hui, sous la présidence d’Ursula von der Leyen, une machine à créer de l’incompréhension, de l’inquiétude et de la division. Ce dont se délectent les populistes et les souverainistes.

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