Colère du «Global South»
Entre le G7 et la Russie, les pays du Sud refusent de choisir

Réunis dans les Alpes bavaroises, les dirigeants des pays du G7 redoutent la colère des pays du Sud engendrée par la guerre en Ukraine. Et si la Russie parvenait à convaincre les pays émergents que leur avenir est du coté de Moscou?
Publié: 26.06.2022 à 10:50 heures
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Dernière mise à jour: 26.06.2022 à 11:51 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Le Sénégal, l’Argentine, l’Indonésie, l’Inde… Ces pays émergents sont ce dimanche, pour leurs continents respectifs, porteurs du même message au sommet des pays du G7 à Krün (Allemagne), dans les Alpes bavaroises: si les puissantes démocraties ne parviennent pas à garantir une stabilité alimentaire et énergétique mondiale dans les mois qui viennent, ils continueront de ménager la Russie de Vladimir Poutine, pourvoyeuse de blé, de pétrole, de gaz et de matières premières.

Avertissement au G7

Impossible, pour l’Allemagne, l’Italie, le Canada, les États-Unis, le Japon, le Royaume-Uni et la France, de ne pas y voir un avertissement: plus la guerre en Ukraine durera, plus leurs sanctions destinées à mettre à genoux l’économie russe seront contournées.

La visite à Moscou du président sénégalais Macky Sall, le 2 juin, l’a bien montré. «Certains de ces pays du Sud nous reprochent ouvertement de mettre leurs populations en danger à cause d’un morceau de territoire Ukrainien qu’ils ne savent même pas placer sur une carte» s’énervait vendredi à Bruxelles un diplomate européen, en marge du sommet de l’Union européenne (UE).

Des manifestants protestent contre la tenue du G7 en Allemagne.
Photo: DUKAS


Dans le jargon diplomatique et médiatique, cette coalition de pays du Sud porte un nom: «Global South». Une dénomination qui résume bien l’angoisse des pays les plus riches de la planète car il ressuscite la fracture Nord-Sud, et met en cause l’idée même de mondialisation, donc de destin économique partagé.

Compte tenu de leur dépendance alimentaire et énergétique, de nombreux pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine refusent de cautionner un conflit qui résonne d’abord comme une guerre européenne. Ils mettent aussi sur la table les responsabilités des États-Unis qui, à travers l’OTAN – cette alliance atlantique dont les 30 pays membres se réuniront dans la foulée à Madrid les 29 et 30 juin – cherchent selon eux à imposer comme toujours leur «impérialisme».

Abstentions à l’ONU

À titre de preuve: le vote très partagé à l’ONU le 7 avril 2022, lorsqu’il s’est agi de suspendre la Russie du Conseil des droits de l’homme basé à Genève. La résolution a été adoptée avec 93 votes pour, 24 votes contre et 58 abstentions. Qui s’est abstenu? L’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud, le Mexique, l’Égypte, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, la Jordanie, le Qatar, le Koweït, l’Irak, le Pakistan, Singapour, la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie et le Cambodge. Une liste de pays émergents de premier plan, parmi lesquels plusieurs sont pourtant des alliés militaires de Washington…

Les pays du G7 ont sur leur agenda d’autres sujets à évoquer lors de leurs débats en Allemagne, en particulier le risque de crise économique mondiale. Mais la perte éventuelle de ce «Global South», que la Russie de Vladimir Poutine et la Chine ont les moyens de courtiser, voire d’acheter, est un enjeu majeur. Surtout si la guerre d’usure s’installe en Ukraine.

Pourquoi ce front des pays du sud?

Trois facteurs entreront en jeu si le conflit en Ukraine perdure:

  1. Les exportations alimentaires et énergétiques
    Dès que l’hiver reviendra en Europe, la bataille pour les hydrocarbures sera redoutable entre les pays européens qui cherchent à s’affranchir du gaz Russe, et la Russie qui cherchera de nouveaux clients. Impossible d’oublier que des pays tels que le Soudan, la Mauritanie ou l’Égypte dépendent à 90% de Moscou pour leurs importations de blé.
  2. Le prix du baril de pétrole
    Les 15 et 16 juillet prochains, le président américain Joe Biden sera en Arabie saoudite, premier pays producteur peu désireux d’ouvrir ses vannes d’or noir. Idem dans les autres pays du Golfe où, en plus, les oligarques russes ont souvent pris leurs quartiers pour contourner les sanctions occidentales.
  3. L’aide militaire russe
    Pas mal de régimes en place dépendent directement de cette dernière. Même l’Inde, la plus grande démocratie du monde, a besoin des armes Russes qui équipent son armée depuis l’époque de l’ex-URSS. La Russie fournit à New Delhi des missiles, des systèmes de défense aériens, des avions…

Que faire alors? Pas simple, en cette époque de guerre froide où le «non-alignement» qui existait jadis, entre les États-Unis et l’ex-URSS, redevient à la mode.

Le G7 face au «Global South»: ce combat-là est loin d’être gagné par les pays riches que le maître du Kremlin a décidé d’affronter, par Ukraine interposée.

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