Classes moyennes paupérisées
Partout en Europe, les inégalités sociales progressent

Face à l'inflation, de nombreux Suisses peinent à joindre les deux bouts. Un salaire de 3500 francs couvre à peine le coût de la vie. Dans d'autres pays européens, ce chiffre semble surréaliste. Leur revenu mensuel ne dépasse parfois pas quelques centaines d'euros.
Publié: 01.09.2022 à 11:21 heures
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Dernière mise à jour: 03.09.2022 à 12:17 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Ils contemplent chaque jour les ruines de la classe moyenne européenne. Moins de mille euros par mois? Le chiffre fait sourire Marta, polonaise, employée toute sa vie durant comme comptable à PKN Orlen, un énergéticien. Marta a pris sa retraite en 2017. L’essentiel de sa carrière a été accompli lorsque l’entreprise appartenait à l’État, derrière le rideau de fer qui coupait l’Europe en deux jusqu’à la chute du mur de Berlin, en 1989.

897 euros de retraite mensuelle. De quoi rendre presque jaloux Tassos, vigile d’une compagnie grecque de sécurité, longtemps chargé de patrouiller aux abords du parc de l’avenue Alexandras à Athènes. Tassos a 69 ans. La crise financière hellénique et la réforme du système de pension imposée par l’Union européenne a décapité ses maigres revenus. Le quotidien Ta Nea a récemment publié son relevé mensuel de retraite: 738 euros.

Pologne et Grèce, deux exemples

Vu de Suisse, la Pologne et la Grèce sont bien éloignées. Les Polonais, de plus, pouvaient se targuer de vivre – jusqu’à ce que la guerre en Ukraine bouleverse leur quotidien – dans l’un des pays les plus dynamiques du continent, qui affichait 8% de croissance économique au premier trimestre 2022. Les Grecs, pas besoin de le répéter, paient le prix de leurs frasques passées et de l’endettement public record de leur pays. Ses partenaires de l’UE lui ont prêté près de 300 milliards d’euros pour boucler ses fins de mois, entre 2009 et 2016.

Deux millions de salariés français perçoivent seulement le salaire minimum de 1269 euros net par mois.
Photo: imago images/PanoramiC
Trois portraits pour mesurer l'inflation

L’inflation. On ne parle que de ça depuis quelques mois. Commençons par les chiffres. «Le Temps» détaillait fin juillet l’analyse de Comparis et du Centre de recherches conjoncturelles de l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) sur le sujet. Selon leur calcul, la hausse des prix est de 1,4% sur une année, au premier semestre 2022. Pour la même période, le Secrétariat d'État à l'économie parle, lui, de 0,5%.

Conséquence: sans augmentation des salaires, le pouvoir d’achat des Suissesses et des Suisses plonge. Pour quels impacts humains? Afin de le comprendre, Blick développera cette thématique dans la semaine du 29 août au 2 septembre.

Première étape, des rencontres avec trois personnes au profil très différent: une travailleuse précaire valaisanne, une retraitée genevoise et un employé communal fribourgeois tout en haut de l’échelle salariale depuis cinq ans. Ces deux femmes et cet homme racontent leur quotidien, leurs choix, leurs factures, leurs doutes et leurs craintes face à l'envol du coût de leur vie.

L’inflation. On ne parle que de ça depuis quelques mois. Commençons par les chiffres. «Le Temps» détaillait fin juillet l’analyse de Comparis et du Centre de recherches conjoncturelles de l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) sur le sujet. Selon leur calcul, la hausse des prix est de 1,4% sur une année, au premier semestre 2022. Pour la même période, le Secrétariat d'État à l'économie parle, lui, de 0,5%.

Conséquence: sans augmentation des salaires, le pouvoir d’achat des Suissesses et des Suisses plonge. Pour quels impacts humains? Afin de le comprendre, Blick développera cette thématique dans la semaine du 29 août au 2 septembre.

Première étape, des rencontres avec trois personnes au profil très différent: une travailleuse précaire valaisanne, une retraitée genevoise et un employé communal fribourgeois tout en haut de l’échelle salariale depuis cinq ans. Ces deux femmes et cet homme racontent leur quotidien, leurs choix, leurs factures, leurs doutes et leurs craintes face à l'envol du coût de leur vie.

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Mais les Français? Sur 15 millions de retraités, 5,7 millions vivent, de l’autre côté de la frontière, avec moins de mille euros par mois. Deux millions de salariés perçoivent, eux, seulement le salaire minimum de 1269 euros net par mois. Selon une récente étude, 12,2% des 45-59 ans vivent, en France, dans une situation de privations matérielles et sociales. La paupérisation est un fléau européen. L’époque où les classes moyennes profitaient à plein de la prospérité est bien révolue.

Au Royaume-Uni aussi…

Prenez l’exemple britannique. Au Royaume-Uni, les manifestations se succèdent depuis des semaines. Pourquoi? Parce que travailler ne suffit plus pour vivre lorsqu’on est un employé de base. L’inflation qui grimpe en flèche y ronge les revenus des ménages. Selon Save The Children, une organisation caritative, près de 44% des Britanniques craignent de ne pas réussir à payer leurs factures cet hiver.

Le Brexit, ce divorce chaotique avec l’Union européenne survenu après le référendum du 23 juin 2016, devait permettre à Londres de repartir à la conquête commerciale du monde. Rien de tout cela n’a eu lieu. La pauvreté touche 14 millions de personnes outre-Manche. Les contrats «zéro heure» qui ne garantissent aucun minimum d’heures et de rémunérations prolifèrent dans les entreprises. La moitié des pauvres, selon les statistiques officielles, vivent dans une famille de travailleurs, contre 39% il y a 20 ans.

Travailleurs pauvres en Allemagne

La liste pourrait continuer. 10% des travailleurs allemands sont considérés comme pauvres selon l’OCDE, le club des pays riches dont la Suisse fait partie. 30% des employés travaillent à temps partiel. Le baromètre Eurostat de l’Union européenne a beau prétendre en 2022 que «des progrès substantiels ont été accomplis dans la réalisation des objectifs concernant la réduction de la pauvreté et de l’exclusion sociale, l’économie et le marché du travail», le ressenti est aux antipodes. 40% des Européens interrogés par le sondage Eurobaromètre estimaient, en début d’année que les institutions communautaires «doivent agir en priorité dans le domaine de la pauvreté». 51% des Français estimaient, eux, que l’UE n’en fait pas assez contre l’exclusion sociale.«Perte d’horizon» des classes moyennes

Les experts parlent de «perte d’horizon» des classes moyennes. La réalité est une descente aux enfers, que les rigueurs de l’hiver vont à coup sûr aggraver. Les Suisses qui peinent à joindre les deux bouts avec moins de 3500 francs par mois apparaissent, dans les pays voisins, comme des privilégiés. Triste réalité liée au fait que le coût de la vie est, de ce côté-ci de la frontière, bien plus élevé qu’ailleurs. Ailleurs justement? Vivre avec moins de mille euros par mois est, pour beaucoup, devenu la règle. Une situation sociale qui attise les colères et fait le jeu de tous ceux qui rêvent de voir le continent s’embraser politiquement et socialement. A commencer par le maître du gaz, Vladimir Poutine.

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