«Ce pays est un crime»
A Albuquerque, dans l'Amérique de Walter White et de Donald Trump

J'ai rencontré Walter White. Enfin presque... J'ai juste fait le pèlerinage d'Albuquerque, sur les traces du plus célèbre «narco» américain de la télévision. Et si le nouveau héros de «Breaking Bad», en ce mardi, jour de vote des «midterms», se nommait Donald Trump?
Publié: 08.11.2022 à 06:17 heures
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Dernière mise à jour: 08.11.2022 à 10:53 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Walter White a une tête de citrouille. Il vit entouré de barrières. Il enrage de voir les touristes s’arrêter devant chez lui, portables en main, pour immortaliser la scène. J’y suis. Pile devant la maison familiale du plus célèbre «narco» américain de la télévision. Skyler est devant moi. Elle fume sa clope en me montrant du doigt. Je rêve. Mais je ne suis pas le seul. En moins de cinq minutes, en ce samedi d’octobre, plusieurs voitures ont ralenti devant le 3828 Piermont Drive. Certaines se sont même arrêtés, malgré l’écriteau leur intimant l’ordre de décamper.

J’ai pour ma part pris soin de me garer plus loin. Rien à espérer de cette Skyler-là. La maison qui a servi de décor à «Breaking Bad» n’a jamais appartenu à Bryan Cranston, l’acteur fétiche de la série. Les proprios, depuis, se sont barricadés. Les seuls décors, aujourd’hui, sont les toiles d’araignées d’Halloween, la citrouille et les décors supposés faire peur aux enfants du quartier.

L’Amérique de Donald Trump qui vote ce mardi 8 novembre pour les «midterms» vous paraît bien éloignée? Celle de «Breaking Bad» va en revanche vous rappeler des souvenirs. Tout s’est passé ici, dans ces quartiers pavillonnaires du nord est d’Albuquerque, la capitale universitaire du Nouveau-Mexique. Au-delà, le désert descend des montagnes. La série n’a rien exagéré. Tout est resté dans son jus depuis le tournage du premier épisode, le 20 janvier 2008, jusqu’au dénouement de la cinquième saison. Episode 16, Season 5. Septembre 2013.

Symbole d'une Amérique qui déraille dans la série «Breaking Bad», Walter White (à gauche) mène sa carrière meurtrière de narcotrafiquant à partir d'Albuquerque, au Nouveau-Mexique. Avec l'aide de son avocat dévoué, Saul Goodman (à droite).
Photo: Zvg
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Walter White a tout fait, tout connu, tout réussi et tout raté. Un marathon américain pour ce prof de chimie en lycée, reconverti en fabriquant de «meth» puis en «narco» de gros calibre. Walter White l’enseignant portait des pulls usés sur pantalon mal repassé. Walt le «narco» arborait un petit chapeau noir. Tous les connaissent ici. Tous l’ont suivi. Argent, violence, désillusion: sa tragédie est celle de l’Amérique.

Une lessiveuse d’argent sale

Skyler s’est absentée. Je campe devant le lavage de voitures transformé par Walter White et son épouse en lessiveuse d’argent sale de taille XXL. 9516 Snow Heights, Albuquerque. Je revois encore l’épisode. La tête triste de Skyler, dupée par son «narco» de mari. Il y a du Donald Trump chez Walter White. Il ment. Il surjoue la puissance. Il élimine ses rivaux sans scrupule. Et surtout, il aime ça. «I did it for me, I was good at it» (Je l’ai fait pour moi, j’étais bon), confesse l’ex-prof dans le dernier épisode de la saga. Walt est alors malade. Il vient de s’assurer que son fils handicapé recevra une part de son magot en billets de cent dollars. J’en sors un de ma poche pour vérifier.

Tout a été filmé ici. Il ne manque qu’un bureau de vote pour compléter l’histoire. Le laveur de voitures mexicain me regarde prendre des photos en rigolant: «C’est l’Amérique mon gars. On bosse. On trafique. On s’enrichit.» Je ne croyais pas qu’il comprendrait. Erreur. Lui aussi est un fan de «Breaking Bad». Sa femme est, me dit-il, à Ciudad Juarez. Netflix a tout diffusé. Il savait que son «Mister Car Wash» est devenu un lieu mythique grâce au scénario de Vince Gilligan, l’auteur de la série: «Vous êtes tous pareils, les Européens: vous oubliez que l’Amérique est un crime. On est tous ses victimes et ses complices.»

Dans le fast-food, l’Amérique de la drogue

J’ai adoré, dans «Breaking Bad», les scènes dans le fast-food. Walter White y apprend tout. C’est là qu’il devient un méchant. Un vrai Américain tombé du mauvais côté de la force. Le voici. L’enseigne? Twisters. L’adresse? 2809, Juan Tabo Boulevard. Tous ça est dans le même quartier. L’Amérique fracassée doit ressembler à ça. Des donuts pour le petit-dej, arrosés d’un café insipide. Des types qui vous regardent et vous demandent pourquoi vous avez échoué là.

J’ai pensé à Jessie, le dealer embauché par Walter White. Il y a plein de Jessie ici. Ils sont au volant de leur pick-up. Même chemise. Même dégaine. Même musique rap dans les oreilles. Heureusement que le Savoy Grill, pas très loin, me ramène à la réalité. C’est là que fut tournée la scène où Walter White oblige Gretchen, l’amie richissime du couple, à coopérer. Ambiance plus feutrée. L’Amérique finit toujours pas être coupée en deux. Par Walter ou par Trump.

Fin de partie

Fin de partie. J’ai circulé pendant quatre heures, de rue en rue, GPS sous mon nez. Halte finale au Grove Café Market, sur Central Avenue. La seule adresse de la série éloignée du quartier de Walter White. C’est ici que tout s’est terminé. Là où Walter, avant de s’embarquer pour le repère du gang qu’il compte bien décimer, verse du poison dans le café de Lydia, la cheffe des «Narcos».

Son image est l’une des dernières de «Breaking Bad». L’apocalypse clôt la série. Jessie est le seul survivant. Tout le monde est mort. L’Amérique de Donald Trump, comme celle de Walter White, est l’éternel cimetière de nos illusions.

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