Atterrissage forcé
Cette fois, pas de 14 juillet pour Alain Berset

Il y a deux ans, en pleine pandémie de Covid, le conseiller fédéral était présent à Paris, pour le défilé militaire du 14 juillet, au coté d'Emmanuel Macron. Son «grounding» de 2022, en avion privé, résume aujourd'hui les relations entre Paris et Berne.
Publié: 13.07.2022 à 16:35 heures
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Dernière mise à jour: 13.07.2022 à 16:42 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Sous la tribune d’honneur plantée sur la place de la Concorde pour le traditionnel défilé militaire parisien du 14 juillet, Emmanuel Macron n’aura pas l’occasion de demander des nouvelles du ciel français à Alain Berset. Informé par son Etat-Major particulier de l’incident aérien dans lequel s’est trouvé impliqué le Conseiller fédéral le 5 juillet dernier, le président français aurait sans doute blagué à ce sujet s’il l’avait invité, comme en 2020.

Le 14 juillet 2020, l’heure était aux remerciements hexagonaux

Problème: rien n’est plus comme il y a deux ans, du côté des relations franco-suisses. Le 14 juillet 2020, l’heure était aux remerciements hexagonaux. Les hôpitaux de la Confédération avaient accueilli des malades français du Covid. Des soldats suisses avaient été conviés à descendre les Champs-Elysées au pas, brandissant le drapeau helvétique devant le gratin de la République, et s’emmêlant un peu les pieds devant les officiels. Alain Berset avait savouré ce moment. Le ciel entre les deux pays était dégagé. Aucun radar n’avait donné l’alerte.

Changement radical d’ambiance en cet été 2022. Alain Berset prié d’atterrir en urgence aux commandes de son monomoteur, escorté par deux Rafale? Au Ministère français de la défense, personne ne commente au-delà de la version officielle: à savoir une mission «normale» de police aérienne «déclenchée par l’incursion non signalée d’un aéronef».

Des soldats suisses avaient participé au traditionnel défilé militaire du 14 juillet 2020 à Paris. Le souvenir d'une relation «fraternelle» désormais estompé entre les deux pays, et entre Alain Berset et Emmanuel Macron.
Photo: DUKAS

En coulisses, l’État-Major français rigole

Sauf qu’en coulisses, l’Etat-Major Français rigole. Le gouvernement suisse, on le sait, a préféré fin mai 2021 acheter des F35 américains plutôt que des Rafale. Une vexation certes surmontée, mais qu’un petit rien suffit à raviver, surtout lorsque l’on évoque la participation helvétique au défilé du 14 juillet 2020: «Vous voulez vraiment que je vous dise ce que j’en pense?, lâche un officier supérieur à la retraite, familier des plateaux de télévision. La Suisse ressemble à l’appareil que pilotait Alain Berset: elle est sans boussole et peut, à tout moment, être contrainte d’atterrir en urgence».

La comparaison se veut méchante: la Confédération n’aura pas la maîtrise industrielle et technologique des futurs F35 américains, contrairement à ce qui se serait passé pour les Rafale de l’industriel Dassault. «C’est tout de même drôle que tout cela se termine par un incident mineur dans le ciel français», poursuit notre interlocuteur.

Un autre signe du destin

Un autre signe du destin est contenu dans la trajectoire suivie par le monomoteur du pilote Alain Berset. Il concerne la base aérienne d’Avord (Cher) dans le centre de la France, à environ 400 kilomètres de Genève. C’est sur cette base que sont stationnés les Awacs, les avions de surveillance aérienne de l’armée de l’air française qui survoleront, le 14 juillet, les Champs-Elysées. Or qui dit Awacs dit surveillance de l’espace aérien français, mais également suisse, compte tenu de la puissance de détection de leurs radars embarqués, signalé par la coupole arrimée au fuselage. La coopération entre les deux armées de l’air, si Berne avait acquis le Rafale, aurait sans doute aussi concerné ces Awacs basés à Avord.

La Suisse, voisin paria?

La Suisse, voisin paria? La question du défilé militaire du 14 juillet est bien sûr anecdotique. La tribune d’honneur sert à récompenser les amis, à honorer les alliés, à rassurer les protégés. Que du protocole couleur kaki. Sauf que la guerre fait rage en Ukraine, que l’OTAN et la Russie sont de facto engagées dans une nouvelle Guerre froide, que chacun compte ses troupes, ses matériels, ses munitions. Et quoi de mieux qu’une place dans cette tribune pour faire oublier les vexations, comme celle de l’annulation, en septembre 2021, de la visite rituelle du président de la Confédération, Guy Parmelin

«Le défilé de 2020 était un défilé en temps de paix, complète une ancienne porte-parole de l’Elysée. La protection civile était à l’honneur avec les personnels soignants. La Suisse, comme l’Autriche, étaient remerciées pour leurs efforts d’assistance médicale. Des honneurs sans conséquences ou presque. Leur neutralité étaient perçue comme une force.»

Forces de l’OTAN prêtes à combattre

Deux ans plus tard, les troupes alliées de l’OTAN qui défileront place de la Concorde sont toutes aguerries, prêtes à combattre, habituées à s’entraîner ensemble. On est passé de l’hôpital au champ de bataille. La neutralité est chamboulée par l’adhésion à l’OTAN de la Finlande et de la Suède. Alain Berset a dû atterrir en France, puis il a pu repartir et rentrer au bercail.

Vu de Paris, la Confédération, elle, apparaît immobilisée, presque sur un brancard diplomatique en raison de l'impasse de ses négociations avec l'Union européenne. A quand, la remise sur pied et le prochain décollage?

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