Grâce à la pénurie en personnel
«Les salaires vont augmenter de 3%»

Le renchérissement sévit, les taux d'intérêt augmentent... La bourse, tout comme le parlement, voient rouge. Mais une bonne nouvelle semble être passée entre les radars: l'économie est en réalité en plein boom. Et les employés, eux aussi, devraient en tirer profit.
Publié: 19.06.2022 à 06:25 heures
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Dernière mise à jour: 19.06.2022 à 09:48 heures
Danny Schlumpf

En Europe comme aux États-Unis, le renchérissement a dépassé les 8% depuis longtemps. En Suisse, il atteint désormais presque 3%. Les autorités monétaires de par le monde resserrent désormais la vis. La Banque nationale suisse (BNS) réagit, elle aussi. En augmente par exemple son taux directeur de 0,5%.

Conséquence: les courtiers en actions tirent la sonnette d'alarme, la bourse s'enflamme. Le Swiss Market Index (SMI) a chuté de 4% en comparaison hebdomadaire. Les marchés immobiliers sont également en ébullition. Les analystes font des calculs fébriles: la grande récession se profilerait-elle?

Dans la Berne fédérale, c'est la panique. Les parlementaires, de la gauche à la droite, se jettent dans la brèche pour défendre le peuple en crise, et déposent motion sur motion. Ils demandent par exemple des baisses d'impôts pour les automobilistes, un plafonnement des charges pour les locataires, la suppression de l'impôt anticipé pour les groupes, des primes d'assurance maladie plus basses, ou encore des retraites plus élevées pour tous.

L'inflation est là, les taux d'intérêt augmentent.
Photo: IMAGO/Wolfgang Maria Weber
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Mais ce qui passe inaperçu dans ce tumulte général, c'est qu'il n'y a pas de crise économique en Suisse – bien au contraire. «C'est un boom étrange», déclare le directeur du Centre de recherches conjoncturelles KOF Jan-Egbert Sturm. «Mais c'est un boom.»

Un taux de chômage extrêmement bas

Les entreprises sont également de cet avis. Elles rivalisent même d'appréciations positives sur la situation. Les carnets de commandes sont pleins. Certes, les marchandises arrivent plus tard en raison des goulets d'étranglement de la chaîne d'approvisionnement, mais elles arrivent. Et les consommateurs sont au rendez-vous: la demande a massivement augmenté.

Ce que les Suisses ont involontairement économisé au cours des deux dernières années, ils le dépensent maintenant à pleines mains. C'est pourquoi les investissements des entreprises augmentent, même légèrement. Et, en raison de l'embouteillage international quant au ravitaillement, ces entreprises investissement notablement... en Suisse.

Résultat: le taux de chômage est extrêmement bas, c'est-à-dire à à 2,1 %. Cela signifie que l'on s'approche du plein emploi. «Le marché du travail est en plein boom», déclare le professeur de l'ETH. «La sécurité de l'emploi ne pourrait guère être plus grande». Dans presque tous les secteurs, il y a pénurie de personnel. Et pas seulement pour les spécialistes, mais à tous les niveaux de qualification, dans les domaines les plus divers. Enseignement, bâtiment, restauration: partout, les employeurs cherchent désespérément des renforts.

Et les employés peuvent en tirer profit. «La pénurie dicte les prix», explique Martin Neff, économiste en chef chez Raiffeisen. «C'est pourquoi les employés sont aujourd'hui dans une très bonne position. Ceux qui changent d'emploi maintenant peuvent même gagner plus, dans certaines circonstances».

«Les salaires réels seront très probablement compensés»

Certes, le renchérissement a augmenté, mais il concerne surtout les énergies fossiles, et d'autres produits importés. L'inflation importée est tout de même supérieure à 7% à cause de cela. C'est là que la BNS entre en jeu: «La hausse des taux d'intérêt renforce le franc, ce qui à son tour freine l'inflation des importations», explique Claude Maurer, économiste en chef de Credit Suisse. Il s'attend à un renchérissement relativement modéré, de 2,3% pour 2022.

Et même si ce dernier s'avère plus élevé, les revenus pourraient suivre: «Les salaires réels seront très probablement compensés», explique Martin Neff, de Raiffeisen. «Une hausse moyenne des salaires de 3% est réaliste en 2022.» À cela s'ajoute le fait que, en raison de la pénurie de main-d'œuvre, les chances de promotion ont également augmenté. «Les employeurs doivent proposer quelque chose, explique Claude Maurer. Cela peut être un salaire plus élevé, mais aussi davantage de télétravail, ou de meilleures chances de promotion.»

Selon lui, tous ces facteurs déclenchent au final une dynamique plutôt positive: «Les consommateurs restent enclins à acheter, parce qu'ils sont sûrs de leur emploi. Et les entreprises en profitent.» Le Credit Suisse prévoit une croissance du PIB de 2,5 % pour 2022.

La prudence reste de mise

Pour Mathias Binswanger, professeur d'économie à la Haute école spécialisée du Nord-Ouest de la Suisse, une chose est claire: «En comparaison internationale, la Suisse fait partie des gagnants. À l'étranger, notre situation serait déjà considérée comme une solution aux problèmes.» L'économiste en chef de Raiffeisen abonde dans le même sens: «Il n'y a aucune raison de se lamenter.»

C'est pourquoi il rejette également le flot d'interventions au niveau politique: «L'activisme politico-économique n'a pas sa place maintenant.» Bien sûr, les chauffeurs de taxi ou les camionneurs n'ont pas la vie facile en ce moment. «Mais si nous commençons par un soutien sélectif, nous allons déclencher une avalanche. Car en se référant à des prestations préalables plus chères, beaucoup d'autres pourraient aussi réclamer de l'aide, du constructeur de machines au menuisier.»

Le professeur d'économie appelle également à la retenue: «qu'il s'agisse des automobilistes ou des locataires, les interventions ne devraient en tout cas avoir lieu qu'à partir d'une certaine limite de prix. Sinon, l'État ne fait qu'inciter à consommer encore plus d'essence ou de mazout.»

Le directeur du KOF déclare quant à lui: «Il y a incontestablement des ménages qui souffrent de l'inflation sans en être responsables, et qui se retrouvent en difficulté sans aide. Nous devrions les soutenir de manière ciblée pour des raisons sociales.» C'est pourquoi il est également favorable à une discussion sur les limites de prix et de revenus à partir desquelles l'aide devrait intervenir. Dans cette optique, il estime que le «chèque fédéral» mérite d'être examiné. Les socialistes veulent par exemple offrir 260 francs par adulte et 130 francs par enfant pour les petits et moyens revenus, si l'inflation devait dépasser les 5%. «Nous ne devons pas craindre une inflation incontrôlée dans notre pays», déclare cependant l'économiste en chef de Credit Suisse. «Il est beaucoup plus probable que le renchérissement diminue.»

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