Sera-t-il à nouveau candidat?
Eric Zemmour, le rêve du pouvoir entravé par les contraintes politiques

Dans «Je n'ai pas dit mon dernier mot», l'ex-candidat à la présidentielle française revient sur sa campagne, ses engagements et sa relation avec ses supporters. Un récit-miroir qui montre surtout son incapacité à bâtir un projet collectif.
Publié: 26.03.2023 à 15:07 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Et si le titre du dernier livre d’Eric Zemmour disait le contraire de la réalité? «Je n’ai pas dit mon dernier mot» (Ed. Rubempré, sa propre maison d’édition) est supposé prendre date. Le message? Attention au retour du nouveau prodige de la politique française, tout droit sorti du plateau de télévision de la chaîne CNews pour atterrir dans les urnes en 2022. Et demain, peut-être, au sein d’un gouvernement ou à la tête du pays.

Déjà parmi les meilleures ventes en France

Les lecteurs qui plébiscitent l’ouvrage, déjà classé parmi les meilleures ventes en France, pensent donc acheter un morceau d’espoir et d’ambition future. Or, j’ai après lecture l’impression qu’ils se trompent. Je viens de terminer ce livre écrit à la première personne, et je n’y ai vu que souvenirs (mordants) et anecdotes (pas toujours passionnantes). Pas de programme pour la suite. Pas de vision de la France de demain. Aucun indice sur la crise sociale provoquée, depuis, par la bataille sur la réforme des retraites.

Une répétition des grands thèmes entonnés durant son incursion présidentielle. Eric Zemmour règle ses comptes et regarde tout dans le rétroviseur. Comme si ce polémiste doué, au verbe meurtrier, lesté de références historiques, savait bien mieux raconter le passé que conjuguer le présent ou l’avenir.

5 décembre 2021: au parc des expositions de Villepinte (Nord de Paris), Eric Zemmour tient son premier meeting de campagne présidentielle.
Photo: imago images/IP3press
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Commençons par faire le tri entre les victimes du livre et les personnes qui en sortent gagnantes. C’est la méthode Zemmour et elle n’a pas changé. L’ex-journaliste adore distribuer des cartons rouges, et tuer au passage ses adversaires. C’est ce qu’il fait avec Marine Le Pen, désormais rangée à ses yeux parmi les velléitaires incapables de changer quoi que ce soit.

Le Pen-Chirac, même combat? «Contrairement à Marine Le Pen, cela permit à Jacques Chirac de gagner. Mais qu’a fait ce dernier de sa victoire? Rien. Je le redis une nouvelle fois: à quoi sert de gagner pour gagner? C’est la limite du cynisme de ceux que Blaise Pascal appelait les 'demi-habiles': les conditions idéologiques de leur victoire déterminent leur capacité d’action au pouvoir», tacle Eric Zemmour.

Valérie Pécresse? «Elle parlait le Macron»

Le voici ensuite affairé à tuer, bien plus méchamment, l’ex-candidate de la droite à la présidentielle Valérie Pécresse: «Nous ne parlions pas la même langue. Elle parlait le Macron […]. Elle se vantait d’être la 'dame du faire', mais elle ne savait pas quoi faire. Ses convictions évoluaient avec la société, avait-elle déclaré, façon élégante de dire que ce n’est pas la girouette qui tourne, mais le vent.»

Fin de partie. L’auteur se croit toujours le seul recours de la «vraie» droite. Cette droite obsédée par le «Grand remplacement», seule capable selon lui de changer enfin les choses si elle devait, un jour, diriger la France. Exécuté aussi, le «traître» Robert Ménard, tonitruant maire de Béziers. Plutôt salué, en revanche? Le jeune Jordan Bardella, premier lieutenant de Marine Le Pen. Et tout à fait encensé, Philippe de Villiers, le créateur vendéen du spectacle du Puy du Fou, vétéran de la droite réactionnaire française…

Et le reste? Quelles révélations? Quelle pierre sur laquelle s’agripper pour croire, un jour, à la «zemmourisation» de la République? Rien. Eric Zemmour ressasse ses vieilles recettes en insistant sur le fait que son staff de campagne était jeune et prometteur, que des conseillers tout juste sortis de l’université n’aimaient pas ses nœuds de cravate, et qu’ils ont eu raison de le relooker dès le début de la campagne, en lui faisant abandonner ses chemises préférées de couleur vive. Puis, en le persuadant de chausser des lunettes essayées, pour la première fois, lors de son meeting inaugural de Villepinte en décembre 2021, afin de pouvoir lire les phrases sur le prompteur.

Le récit d’un observateur

Quoi qu’il fasse, quoi qu’il écrive, quoi qu’il raconte, l’auteur reste un observateur. Avec, en bandoulière, un lot de phrases bien écrites, mais creuses du genre: «Il y a belle lurette que les politiques ont laissé l’histoire aux historiens; et que la plupart des historiens ont remisé dans les placards poussiéreux l’histoire traditionnelle centrée autour de la nation et son destin. Nous nous sommes ainsi rendus incapables d’appréhender les événements qui nous menacent: bouleversements démographiques, désoccidentalisation du monde, revanche des peuples colonisés, guerre de civilisations. Nous devons impérativement nous réapproprier notre histoire pour être en mesure de la poursuivre.»

Ah bon. Et comment? Là, le fondateur du parti «Reconquête» manque singulièrement de clés et de recettes.

Une incroyable obsession de lui-même

J’ai parcouru le livre en recherchant un démenti. Une phrase ou deux qui me ferait penser que, derrière sa défaite au premier tour de la présidentielle de 2022 (avec, tout de même, deux millions de voix en poche) et derrière son élimination au premier tour des législatives suivantes dans le Var, Eric Zemmour se veut bâtisseur.

Impossible. L’homme partage avec Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon cette incroyable obsession de lui-même. Tout se rapporte à lui, à son itinéraire, à ses références historiques et littéraires, comme Ernest Renan, le philosophe auteur de «Qu’est-ce qu’une nation?» en 1887. Il ne voit la France qu’au travers de son expérience personnelle (à Drancy, en banlieue parisienne, au sein d’une famille juive) et professionnelle (passée à fréquenter les politiques et à les portraiturer).

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Pas une fois dans son livre, Eric Zemmour ne tire les conséquences de ses rencontres avec les Français, ou avec les patrons des entreprises que sa campagne l’a amené à rencontrer. Il ne les voit pas pour les écouter. Il ne réfléchit pas à partir de la société telle qu’elle est, mais telle qu’il aimerait la transformer. Au fond, Eric Zemmour aime le pouvoir et rêve de l’exercer, mais il n’aime pas la version simple de la politique qui consiste à adapter, modifier, faire des compromis, se mettre au service de la population.

La bonne question du référendum

Ce qui ne l’empêche pas, reconnaissons-le, de poser une bonne question, vue de Suisse (il consacre deux lignes à son passage à Genève, le 24 novembre 2021): «Sommes-nous toujours une démocratie, c’est-à-dire un régime où le peuple a le dernier mot, ou sommes-nous dirigés par une oligarchie technocratique et juridique? La question est cruciale pour nos institutions, pour notre souveraineté économique et pour la protection de nos entreprises.»

Et de répondre, très helvétique: «Il reste une ultime résistance à cette mainmise du droit sur la démocratie: le référendum. Je le propose depuis vingt-cinq ans et l’ai défendu tout au long de la campagne.»

À lire: «Je n’ai pas dit mon dernier mot» d’Eric Zemmour (Ed. Rubempré)

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