Festivals de littérature américaine
De Vincennes à Oron, la vérité de l'Amérique des livres

Vous détestez les Etats-Unis, responsables de nombreux maux de la planète? Rien de tel que les festivals «America» de Vincennes (France) et «L'Amérique à Oron» (VD) pour vous révéler l'âme de ce pays aussi fascinant qu'effrayant.
Publié: 18.09.2022 à 13:54 heures
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Dernière mise à jour: 19.09.2022 à 13:06 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Vous détestez les Etats-Unis? Vous reprochez à Washington de chercher, partout, à faire prévaloir coûte que coûte les intérêts du Pentagone et des GAFAM, ces géants de l’internet qui sont leur avant-garde technologique, économique et culturelle? Vous estimez que l’armée américaine, avec ses 813 milliards de dollars de budget en 2022, est davantage une menace qu’un filet de sécurité pour l’Occident et pour l’Europe?

Alors, prenez juste un moment, ces prochains jours, pour vous plonger dans une autre réalité américaine: celle des livres et de la littérature. Cette Amérique-là sera à l’honneur successivement, du 22 au 24 septembre à Vincennes, près de Paris, qui accueille la nouvelle édition du festival «America». Puis elle sera aussi sur le devant de la scène à Oron (VD), les 30 septembre et 1er octobre. Rien de tel que ces deux escales pour comprendre les Etats-Unis d’aujourd’hui, avec toutes leurs contradictions.

Ce que cachent Donald Trump et Joe Biden

Ce souffle de l’esprit américain, loin des rapports de force géopolitiques est celui qui a porté Sylvie Brieu, durant ses longs mois passé dans l’État du Montana en 2020 et 2021. L’autrice française en a ramené un livre au titre à la fois justifié et trompeur: «L’âme de l’Amérique – Au cœur des grands espaces de l’Ouest» (Ed. Albin Michel). Pas de Donald Trump à toutes les pages ici, même si l’ombre de l’ex-président qui s’active pour revenir à Washington plane sur ces contrées lointaines, proches du Canada. Pas de Joe Biden non plus, alors que l’actuel locataire de la Maison-Blanche est arrivé ce dimanche à Londres pour assister aux funérailles de la reine Elizabeth II.

L’Amérique de Sylvie Brieu est celle des «seigneurs des plaines». Le pays des Amérindiens. Le pays des bisons, dont la population recommence à croître après avoir été décimée par les colons blancs pour affamer les tribus locales afin de s’approprier leurs terres et leurs ressources naturelles. Le pays des grands espaces. Ce n'est pas pour rien que le surnom du Montana est «Big Sky Country». Tout y est en taille XXL: les prairies, le froid mordant de l’hiver, les montagnes, la beauté des paysages, la nature. Et tous les rêves que cela suscite.

Francis Geffard et ses «Terres d’Amérique»

Un éditeur français a, depuis des décennies, ce pays-là au cœur. Francis Geffard, directeur de la collection «Terre d’Amérique» aux éditions Albin Michel, est la cheville ouvrière du festival «America» de Vincennes. Une partie des auteurs invités dans cette ville accolée à la capitale française se retrouveront, quelques jours plus tard, pour reparler de leurs livres et de leurs vies d’Américains à Oron (VD). Pourquoi l’Amérique? «Parce que ce pays recèle un mélange unique de liberté, d’avidité, de folie, bref, de démesure» explique l’intéressé à Blick. Sylvie Brieu ne dit pas autre chose dans son livre.

Prenez seulement les bisons, ces monstres de la nature qui, jadis, recouvraient littéralement les terres: «Sous leurs sabots, la terre gronde comme un coup de tonnerre, frémissant de mille promesses, écrit-elle. Dans la lumière diffuse d’un contre-jour, j’aperçois leurs silhouettes massives, voûtées […] Avant l’arrivée des Européens, on estimait à une trentaine voire à une soixantaine de millions, en fonction des sources, la population des bisons qui vagabondaient en hordes compactes de l’Alaska au Mexique et de l’Oregon au New Jersey».

Retrouvez l’exposition sur les Sioux du musée des confluences de Lyon

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L’Amérique d’hier et celle d’aujourd’hui

Il faut lire ce que fut l’Amérique d’hier pour comprendre celle d’aujourd’hui. Il faut aussi se souvenir de ce qu’était, au début du XXe siècle, la fascination européenne pour ces Etats-Unis où tout semblait possible. La très belle exposition consacrée aux indiens Sioux au musée des Confluences-de-Lyon (elle vient de s’achever) a montré la frénésie qui s’emparait, entre 1890 et 1910, des spectateurs européens sur le passage du cirque de Buffalo Bill Cody, le plus célèbre chasseur de bisons de l’ouest. En 1905, celui-ci ramène sur le Vieux Continent des wagons entiers remplis de chevaux, de panoplies de cow-boys et… de vrais amérindiens.

Il réédite ainsi la tournée initiale de son «Wild West Show» qui, quelques années plus tôt, déferla sur l’Europe avec, à sa tête, le chef Sioux Sitting Bull, l’un des vainqueurs, en 1876, de la fameuse bataille de Little Big Horn contre le Général Custer. Le lieu où moururent, décimés, les soldats du 7e régiment de cavalerie se trouve dans le Montana sillonné par Sylvie Brieu. L’histoire de l’Amérique moderne est un flot de sang, de cruauté et de profits à tout prix.

La drogue des grands espaces

Les Etats-Unis sont le produit de ce passé, de ces crimes, de cette drogue que constitue le sentiment que, dans ces grands espaces, tout est possible. A Vincennes, le festival America a toujours réussi cette étonnante symbiose, donnant à la fois la parole aux écrivains détracteurs de leur Amérique et de ses excès, et à ceux qui plongent dans ses entrailles comme James Ellroy, l’auteur californien de polars fameux.

La littérature est un tribunal souvent impitoyable du trumpisme, cet art politique du mensonge, de la manipulation grossière, de la brutalité érigée en dogme, de l'éloge du petit peuple blanc contre tous les autres. L’on retrouve tout dans les livres auteurs présents à Vincennes, puis à Oron: les avocats qui se vendent aux plus offrants, le droit qui sert les puissants, le culte du roi dollar, la discrimination raciale toujours omniprésente, la violence des armes à feu en livre circulation… Mais l’on y rencontre aussi ce que l’Amérique a d’unique: ce formidable levier que sont la liberté et la capacité à se réinventer, quel que soit le naufrage qui a failli vous engloutir.

Détester les Etats-Unis? Oui, c’est possible et même parfois justifié. Mais ignorer ce qui s'y passe et d'où ils viennent, au XXIe siècle, est une redoutable erreur.

Bienvenue en Amérique!


A lire: «L’âme de l’Amérique – Au cœur des grands espaces de l’Ouest» (Albin Michel)

Et pour plus de renseignements sur les festivals:

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