Plat traditionnel du Valais
Ce resto remet les guyenëfles à la carte, et c'est très bon

Chez Dom, à Haute-Nendaz, Nicolas Guidoux célèbre ces cousins des gnocchis injustement oubliés. Un régal pour les skieurs.
Publié: 18.02.2023 à 11:05 heures
Joaquim Manzoni

Commençons par nous mettre d’accord sur la prononciation, sous peine de compliquer la lecture de cet article! Guyenëfles s'articule keu-neu-fle. Issu du patois valaisan, le terme qu'on voit parfois orthographié queneufles, désigne une spécialité à base de pommes de terre et de farine, un bon plat bien bourratif et populaire dans les Alpes. De quoi s'agit-il exactement? Blick l'a dégusté pour vous au détour d’une buvette de montagne, Chez Dom, sur les bords des pistes de ski de Tracouet à Nendaz. On vous apprend tout dans cet article.

Les guyenëfles, c'est quoi? Eh bien ce sont comme des petites pâtes façonnées à la main, ça ressemble à des gnocchis, et aussi à des knöpflis. C'est même un plat qu'on pourrait situer entre les deux. Des premiers, ils héritent de la pomme de terre, et des seconds, d'un mélange de farine de froment et/ou de semoule de blé dur, d'eau et d'œufs. Combinez patates et farine et voilà, vous avez des guyenëfles. Mais attention, pas n'importe comment: tout le savoir-faire repose sur le mélange adéquat entre farine et patates, ce qui fait des guyenëfles un plat moins farineux que leurs cousins les knöpflis, et plus fin que les gnocchis.

Un plat des montagnes

Les guyenëfles sont ancrés dans le terroir du Valais. Pouo onna souye konplète é mimoueu pouo le plaïzi du palè é dè l’éstome autrement dit «pour un repas complet et même pour le plaisir du palais et de l’estomac», en patois valaisan. Mais ce plat montagnard existe sous diverses variantes, un peu partout dans les Alpes. On retrouve en effet des recettes similaires dans divers cantons: quenelles chez les romands, gnòcch al cügiaa au Tessin («gnocchi à la cuillère» en dialecte) ou encore les chnéffléne des voisins du Val d’Aoste. Tous issus de coutumes populaires, ces mets sont issus de recettes vivantes, pas vraiment fixées, de véritables «plats du pauvre», riches et surtout préparés en fonction de ce que l’on avait sous la main.

Photo: Joaquim Manzoni

C'est d’ailleurs ce qui explique tant de variantes, car la combinaison entre pommes de terre et farine varie d’une région, d'une vallée, d'une altitude ou d'une famille à une autre. La recette des knöpflis l'illustre bien, puisque aujourd'hui encore, elle dépend du mélange de farine issu de la production du moulin: farine d’épeautre, de froment ou de semoule fine de blé (ou de blé dur).

Comme presque toutes les recettes traditionnelles, elles étaient transmises oralement, souvent de mère en fille. Près de ma table Chez Dom, un client loquace a ainsi déclaré: «J’adore celles de ma femme, mais faut pas lui dire que je préfère celle de ma mère… sinon, c’est sa grand-maman qui va se vexer.» Bref, vous l’aurez compris… c’est une recette traditionnelle et familiale bien gardée. Tellement bien préservée qu’on l'a presque oubliée… et cela aurait été un drame!

Remis à la carte par un Sierrois d'origine

Heureusement, Nicolas Guidoux est de ceux qui ramènent les guyenëfles sur le devant de la scène gastronomique. Sierrois d’origine, il était auparavant gérant du restaurant le Lötschberg à Berne, où — il faut le dire en passant — on trouve certainement les meilleurs cordons-bleus avec röstis du pays. Mais l’envie de rentrer dans sa région se faisant ressentir, surtout depuis sa belle rencontre avec une fille de Nendaz, le bonhomme est revenu sur ses terres d'origine. Il a repris depuis cette année la gestion hivernale du bistrot Chez Dom, authentique petit chalet d'alpage situé au pied de la télécabine de Tracouet.

Nicolas Guidoux sert trois assiettes de guyenëfles.
Photo: Joaquim Manzoni

En réfléchissant à ce qu’ils avaient envie de présenter aux clients, Nicolas et sa compagne Virginie désiraient non seulement se distancer des malheureux nuggets et frites anémiques que l’on retrouve – encore trop souvent – dans les self-services des stations de montagnes, mais surtout proposer un véritable retour aux produits locaux. La viande et le pain viennent du village, le fromage de la Vallée, le vin du canton. Et tout y est préparé minute avec des produits frais, comme la soupe du jour, le sandwich merguez avec les fameuses baguettes «à bulles» de la Brioche (une des boulangeries du village) qui, pour la petite histoire, sont cuites spécialement à Haute-Nendaz, à presque 1400 mètres, parce que la pâte «bulle» mieux avec l’altitude.

C'est ainsi qu'ils s'exclamèrent non pas «eurêka!», mais… guyenëfles. Virginie avait en tête une recette généreuse et roborative, parfaite pour les skieurs, qu'elle tenait de sa grand-maman. En recherchant le nom exact de ce mets, ils découvrirent, avec l’aide du papa de «Virge», grand amateur de patois valaisans, l’orthographe du plat: les guyenëfles arrivaient alors sur leur carte.

Plus gastronomique qu'il n'y paraît

Les ingrédients des guyenëfles sont simples, locaux, naturels et excellents, mais la recette demande savoir-faire et doigté. On commence par mélanger pommes de terre cuites (avec la peau, comme pour les gnocchi, sinon les pommes de terres perdent leurs qualités gustatives), œufs, farine, lait et eau. Quand la pâte est bien lisse et épaisse — mais pas trop — on la dépose dans l’eau bouillante, soit en la passant à la râpe à knöpflis, soit en la façonnant à la cuillère. Une fois que les guyenëfles remontent à la surface, on les égoutte et on les fait revenir dans une sauce.

La carte du resto.
Photo: Joaquim Manzoni

On pourrait croire à un simple plat bourratif, mais c'est bien plus que cela. La consistance particulière des guyenëfles, délicate, crémeuse et tendre, permet une association de choix avec les sauces qui l’accompagnent, sauces dont le liant est renforcé par l'amidon des pommes de terre, pour des saveurs plus prononcées. Si cela reste un plat du genre costaud, il n’empêche qu’en les faisant revenir avec des lardons, ils en absorbent la saveur et la restituent subtilement en bouche.

Le jour de notre visite, Nicolas Guidoux avait apprêté ses guyenëfles avec du fromage d'alpage, de la crème et des lardons, et une bonne touche de poivre. Un délice. Les guyenëfles sont, pour leur polyvalence et leur finesse, l’image-même des plats traditionnels alpins: doux, simples, et savoureux, tout en étant généreux et nourrissants, bref, une ode à leur terroir. On le déguste volontiers avec un verre de fendant, de petite arvine ou de tout autre vin suffisamment tendu et acide pour faire ressortir l’onctuosité du plat. Sur ce, un peu de ski pour digérer est le bienvenu!

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