Embrouille à l'Italienne
Les confiseurs suisses et italiens se font la guerre autour d'un chocolat

Les artisans fabricant le gianduiotto, célèbre chocolat turinois, veulent labelliser leur friandise en Europe. Problème: Lindt estime que cela nuirait à l'une de ses marques, et ne veut pas d'un cahier des charges trop qualitatif.
Publié: 19.12.2023 à 14:34 heures

C'est une nouvelle bataille gastronomique qui secoue l'Italie. Et cette fois, la Suisse est impliquée!

Petit chocolat onctueux qui fond sur la langue, le célèbre gianduiotto de Turin se retrouve au centre d'une bataille autour d'un label européen qui oppose des artisans italiens au colosse suisse Lindt. Sa douceur n'aura pas suffi à apaiser les esprits, malgré l'approche de Noël.

Dans son atelier aux portes de Turin, Luca Ballesio, 42 ans, vêtu d'une blouse blanche, s'affaire à malaxer et frotter la masse de chocolat avec des spatules avant d'en découper des morceaux au couteau et les faire couler, un par un, délicatement sur un plateau.

Le gianduiotto est un petit chocolat au lait et noisettes en forme de prisme triangulaire.
Photo: AFP

Ce chocolatier au geste précis est l'un des derniers producteurs de gianduiotto à utiliser cette méthode manuelle ancestrale, qui permet de donner à la friandise sa forme typique de prisme triangulaire aux bords arrondis.

Inventé à cause d'une guerre de Napoléon

Une tradition qui remonte au XIXe siècle. Après le blocus naval ordonné en 1806 par Napoléon contre l'Angleterre, qui a créé une pénurie de cacao, des chocolatiers turinois ont eu recours pour la première fois à des noisettes, abondantes dans le Piémont. Les chocolatiers piémontais ont alors fait de nécessité vertu en inventant cette nouvelle spécialité.

Mais ce n'est qu'en 1865 que la pâte à la noisette piémontaise a pris le nom d'une figure du carnaval, Gianduia, symbole de Turin. C'est à cette époque qu'elle est commercialiée par Caffarel, devenue depuis propriété de Lindt.

Lindt pas d'accord avec l'IGP du gianduiotto

Entre le géant suisse et les chocolatiers turinois, le torchon brûle autour d'un hypothétique Indication géographique protégée (IGP). Luca Ballesio fait partie d'un comité d'une quarantaine de chocolatiers artisanaux et d'entreprises comme Ferrero, Venchi et Domori, qui tentent d'obtenir l'IGP pour le gianduiotto.

Objectif: augmenter sa notoriété, multiplier ses ventes, estimées à 200 millions d'euros par an, et perpétuer la tradition chocolatière de Turin. Or, les objections de Lindt, propriétaire depuis 1997 du fabricant italien Caffarel qui revendique la paternité du gianduiotto, risquent de faire capoter le projet, actuellement bloqué au ministère italien de l'Agriculture.

Une embrouille autour de la noisette

«La bataille» qui oppose les chocolatiers piémontais à Lindt «est importante» car il s'agit de «valoriser un produit historique de Turin», explique Luca Ballesio. Le comité a mis au point un cahier des charges très détaillé, à respecter scrupuleusement par ceux qui veulent apposer sur leurs produits la future IGP.

Guido Castagna dans son laboratoire de fabrication des gianduiottos.
Photo: AFP

Fidèle à la tradition, il prône le retour à la recette originale du gianduiotto: 30 à 45% de noisettes grillées du Piémont, au moins 25% de cacao et du sucre. Une potion magique vieille de 200 ans qui n'est cependant pas du goût de Lindt, lequel demande l'ajout du lait en poudre et veut abaisser à 26% le seuil minimum de noisettes.

Du lait en poudre dans le chocolat italien? Une hérésie!

Une véritable hérésie aux yeux des gardiens de la tradition. «A l'époque, le lait en poudre n'existait pas. Ajouter du lait au chocolat, c'est un peu comme couper le vin avec de l'eau», tranche Guido Castagna, 49 ans, président du comité Gianduiotto de Turin.

A quelques jours de Noël, la production dans son atelier artisanal à Giaveno près de Turin bat son plein. Vidant sac après sac, le maître chocolatier verse les noisettes dans un appareil à torréfier qui les grille avant d'être broyées et mélangées au cacao.

Puis, le chocolat passe par une machine qui le coule directement sur un tapis roulant sans utiliser de moules. Le gianduiotto est emballé à la main, pièce par pièce, dans une feuille d'aluminium brillant, prêt à être posé au pied du sapin.

«Nous ne voulons rien enlever à Caffarel, nous ne menons pas une guerre contre Caffarel. Mais il doit être clair pour Caffarel que nous défendons le gianduiotto tel qu'il était produit à l'origine», souligne Guido Castagna.

Lindt veut un IGP selon ses termes

Chez Caffarel, on assure ne s'être jamais opposé à la reconnaissance d'une certification d'origine IGP, qui pourrait «contribuer au prestige du gianduiotto en Italie et dans le monde». Mais la filiale de Lindt a déjà sa propre marque, «Gianduia 1865. L'authentique Gianduiotto de Turin» et redoute que la création d'une IGP similaire, «Gianduiotto de Turin», prête à confusion.

«Notre objectif est de trouver un accord qui satisfasse toutes les parties» et «qui permette à Caffarel de protéger la valeur historique de sa marque», fait-on valoir. «Caffarel sait où nous trouver et s'ils pensent qu'il peut y avoir une ouverture, nous sommes prêts à en discuter avec eux», a déclaré Antonio Borra, avocat du Comité IGP.

Mais, poursuit-il, «il y a des points sur lesquels nous ne pouvons pas transiger, à commencer par le nom de Turin, qui est à la disposition du territoire et pas d'une seule entreprise».

(Fabien Goubet, avec AFP)

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