Chiche, du hoummous
On a goûté les délices du Ramadan

Blick a partagé la table d’une cuisinière musulmane hors pair, qui livre tous ses secrets pour tenir le jeûne annuel, et surtout se régaler le moment venu.
Publié: 17.04.2022 à 22:03 heures
Marie Maurisse

Lorsque nous arrivons dans la cuisine de Nezha Drissi, aux portes de Pully, celle-ci nous tend une cuillère remplie de soupe. «Pourriez-vous goûter? Cela manque-t-il de sel?», nous demande-t-elle inquiète. Même si elle cuisine depuis quatre heures dans d'appétissantes odeurs de cannelle et de gingembre, elle n’a encore rien pu déguster car le soleil n’est pas encore couché. En ce mois de Ramadan, elle pratique un jeûne sec: pas une bouchée, ni même un peu d’eau, du matin au soir. Un exercice de l’esprit qu’elle pratique chaque année.

Pour cette Suissesse d’origine marocaine, le Ramadan, recommandé par le Coran, n’a rien à voir avec un «ramdam». Ce n’est ni une fête, ni une orgie alimentaire, mais l’occasion pour chaque musulman d’aller à la rencontre de soi.

Bien sûr, une fois qu’il fait nuit, il faut bien manger. Selon les régions du monde, les spécialités ne sont pas les mêmes. Mais elles ont en commun d’être saines et équilibrées, afin de permettre au corps de tenir plus de douze heures sans rien avaler. Pas trop de sucre, pas trop de gras: il s’agit de faire attention.

Photo: Shutterstock

Harira végé

La soupe tendue par la Pulliérane, qui a l’habitude de faire goûter sa cuisine à l’occasion de portes ouvertes qu’elle organise en général tous les ans, est un classique de la cuisine marocaine: la harira, qui est chez elle végétarienne. «Je fais revenir des oignons, puis j’ajoute des pois chiches qui trempent depuis la veille, nous révèle-t-elle. Pour les épices je mets sel, poivre, curcuma, gingembre, un bâton de cannelle, et un peu d’huile d’olive. J’insère dans la casserole du céleri mixé avec du persil, du coulis de tomate, de la coriandre et des lentilles. Une fois que c’est cuit, je verse un peu de carvi, le cousin du cumin. Les Marocains mettaient du levain, qui permet de mieux digérer les féculents. Moi je fais cela avec du quinoa et du bouillon.»

Le potage se déguste lentement. Car à 20h20, quand le soleil se couche, rien ne sert de se presser sur la nourriture, ce qui perturberait l’estomac, vide depuis l’aube. Nezha commence par quelques dattes et du lait d’amandes, auquel elle a ajouté de la fleur d’oranger.

Energy balls

Au milieu de la table trône un plat rempli de ce qui ressemble à du sable marron. Il s’agit du sellou, véritable botte secrète du Maroc, un mélange de graines (fenouil, lin, sésame, tournesol) et de farines, que la cuisinière a choisi sans gluten: sarrasin, millet, coco, amande, maïs.

Cette poudre est toastée au four, puis mélangée à un filet d’huile d’olive et de la cannelle. Croquante sous la dent, cette poudre est donnée traditionnellement aux femmes qui viennent d’accoucher et qui ont besoin d’énergie. Le sellou stimule alors la montée de lait. Agglomérées avec un peu de miel, ces graines font d’excellentes «energy balls». C’est pourquoi elles diffuseront dans l’organisme les vitamines suffisantes pour tenir la journée.

Tajine parfumé

Vers 21 heures, il est temps d’une courte prière et donc d’une pause dans le dîner. Dix minutes plus tard vient le temps du tajine, que Nezha a réalisé dans le fameux plat en terre cuite au couvercle conique. Un fond d’oignons et d’ail, une pièce d’agneau parsemée de sel, poivre, gingembre et curcuma, et à feu doux pendant cinq heures – avec deux bâtons de cannelle et quelques étoiles de badiane. Après quelques heures, ajouter des courgettes simplement posées sur la viande, et du thym frais.

Chacun se sert à la fourchette et l’agneau est si tendre qu’il s’effiloche. Je ne résiste pas à tremper mon pain dans la sauce des oignons caramélisés. Du pain maison, sans gluten, réalisé avec de la farine de millet et des graines de sésame, de l’eau et du lait fermenté (kéfir) à la place de la levure, moins digeste.

Une «victoire»

Les personnes malades, opérées, faibles, ainsi que les femmes enceintes sont dispensées du jeûne annuel. En échange, elles peuvent offrir un repas par jour à quelqu’un dans le besoin ou rattraper ces jours en jeûnant à un autre moment de l’année, quand le corps le permet. Si des femmes ont leurs règles à cette période, elles retarderont le jeûne de quelques jours.

Pour les autres, le Ramadan devrait être propice à la méditation, la prière, et au partage avec les autres. «Ce n’est pas une souffrance, précise Nezha Drissi, mais une manière de se purifier le corps et l’esprit. Et c’est une victoire de se dire que cela est possible.»

Je n’ai plus faim depuis longtemps mais ne peux m’empêcher de grignoter des carottes plongées dans un hoummous crémeux à souhait, et de croquer dans un morceau de gâteau à la poudre d’amandes et aux graines de chia. Certains musulmans se réveillent avant le lever du jour, afin de croquer dans un dernier morceau de pain et boire un peu de thé. Pour Nezha, ce sera quelques dattes au petit matin, juste avant l’aube.

Avant de partir, elle me tend son livre d’or, où ses convives ont écrit, au fil des années, les bons souvenirs laissés par ce moment de partage. Je repars les bras chargés de croquants faits maison et d’une casserole pleine de soupe. Je n’oublierai pas de la lui ramener!

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